Il paraît que lorsque Fritz Lang proposa d’adapter au cinéma Une femme dans la lune, roman que venait d’écrire sa femme, Théa von Harbou, ses producteurs de l’Universum film lui demandèrent de passer du muet au parlant. L’enregistrement des sons, initié vers 1926-27 faisait en effet de considérables progrès et le maintien du muet apparaissait comme un combat d’arrière-garde, malgré l’émoi de puristes qui voulaient que le cinéma demeurât ainsi. Lang refusa de faire ce grand saut dès 1929 et attendit 1931 pour réaliser un de ses meilleurs films, M le maudit qui utilisa le son (et avec quelle efficacité ! on frémit d’emblée lorsque dès le tout début la mère de la petite fille disparue, Elsie, enlevée par le violeur, appelle son enfant d’une voix de plus en plus inquiète).
Pour La femme sur la lune, le son, l’enregistrement des paroles fait vraiment défaut. Le récit n’est pas extrêmement complexe mais fait si souvent appel aux cartons d’intertitres que l’on se dit que, puisqu’il aurait pu être évité par les dialogues parlés, ce ralentissement obligé du rythme de la projection aurait rendu certainement plus supportable la longueur de ce métrage. Il me semble que le muet peut se satisfaire davantage dans la veine comique, avec des gags visuels, des poursuites, pour eux qui aiment ça. Ou même dans la veine épique, qui est plus stylisable. Mais, pour des raisons que je ne m’explique pas vraiment, le réalisateur ne sait pas faire court : Le docteur Mabuse dure près de cinq heures, Les Nibelungen autant (en deux époques il est vrai, La mort de Siegfried et La vengeance de Kriemhild), Les espions près de deux heures et demie. Et La femme sur la lune dépasse les trois heures aussi.
Ce qui ne serait pas grave en soi si on n’avait l’impression que chaque séquence est diluée, étirée au delà du raisonnable et que cet étirement n’est pas du tout nécessaire (comme l’est, par exemple, pour demeurer dans le registre du voyage spatial, 2001, dont les longues séquences presque muettes dans le vaisseau sont absolument indispensables pour faire percevoir la pesanteur de l’ennui qui règne). La femme sur la lune a certainement dû inspirer les deux beaux volumes d’Hergé, Objectif lune et On a marché sur la lune au delà des évidentes différences d’esprit et de moyens. Mais dans l’une et l’autre œuvre il y a, au delà de la découverte de notre satellite, des épisodes mystérieux, de nature policière. Et c’est dans ceux-là qu’il faut être vigoureux, vif, rythmé, concis. Ce que ne fait pas, pas du tout Fritz Lang.
Donc un doux rêveur inspiré, le professeur Georg Manfeldt (Klaus Pohl) a publié jadis une thèse universitaire selon quoi la lune serait dotée d’une atmosphère respirable et surtout prolifique en or. Gaussé de partout, il a pourtant intéressé l’industriel Wolf Helius (Willy Fritsch) qui, assisté par l’ingénieur Hans Windegger (Gustav von Wangenheim), fiancé avec la ravissante Friede Velten (Gerda Maurus) ambitionne de parvenir à l’astre lunaire ; mais il a aussi inquiété une sorte de consortium cosmopolite qui veille sur le cours de l’or et ne souhaite évidemment pas que le métal, possiblement devenu abondant, perde de sa valeur ; ce consortium malfaisant dépêche autour de l’équipe scientifique un bandit ambigu et douteux, Walt Turner (Fritz Rasp). Après plusieurs péripéties un peu lourdes, qui font vainement penser aux agissements de l’omnipotent Docteur Mabuse, tout ce petit monde décolle pour la Lune ; il ne manque même pas là un garnement sympathique, Gustav (Gustl Gstettenbaur) qui joue le rôle du passager clandestin.
Au fait, on a vite compris que l’industriel Hélius, véritable héros du film, est follement amoureux de la belle Friede, dont les fiançailles l’ont dévasté ; comme c’est un noble cœur, il a ravalé son chagrin et souhaité le plus grand bonheur au futur jeune couple ; mais comme l’on est un peu au courant des manigances du cinéma, on s’est vite douté que finalement le fiancé Windegger n’est pas si formidable que ça.
Suit une partie à prétention un peu scientifique de l’envol de la fusée, de l’arrachement à l’attraction terrestre et du vol vers la lune. On se demande avec ironie comment les décorateurs ont si mal goupillé leur affaire pour que le moindre effort dans l’appareil soit d’un inconfort et d’une difficulté extraordinaires. L’expédition se pose (atterrit et non pas alunit comme c’est sottement traduit en sous-titres) et découvre une lune parfaitement vivable. Le professeur Manfeldt, heureux de constater que ses hypothèses étaient exactes et que la lune regorge d’or, ne manque pas de se tuer en tombant dans un précipice ; le monstrueux Turner (qui ressemble vaguement à l‘Olrik de Tintin) veut repartir seul, mais est abattu ; malheureusement, en tirant sa dernière balle, il a crevé les réservoirs d’oxygène. Que va-t-il advenir aux survivants ?
Je n’ai pas passé 2h42 de ma vie pour vous le raconter, débrouillez-vous.