Bien curieux film venu du bien étrange Brésil, ce pays qui passait, au milieu du siècle dernier, avoir grand avenir et être puissance majeure et qui ne finit pas de s’éparpiller, l’opulence incroyable des uns prospérant sur l’effroyable misère des autres et ceci sur fonds de drogue, de violence et de corruption. Pays étrange de tous les syncrétismes où cohabitent les traces d’anciens cultes africains, un catholicisme démonstratif et un évangélisme en plein développement. Ce riche terreau produit un film qu’on serait bien en mal de classer dans une seule catégorie. Un peu d’étude sociale, un début d’histoire amoureuse saphique, un soupçon d’images sanglantes, quelques excellentes chansons par ci par là, un appel au vieux mythe du loup-garou.
Bien qu’il soit un peu trop long, le film est bien construit, bien mené ; sans doute la clef du mystère est-elle trop vite dévoilée mais elle l’est d’une manière assez habile pour qu’on puisse y croire. Au demeurant il faut avoir un minimum d’indulgence pour accepter certaines fondations des Bonnes manières, certaines de ses prémisses. Admettre que la bourgeoise Ana (Marjorie Estiano), qui cherche une bonne à tout faire qui sera aussi la nounou du bébé qu’elle attend, puisse embaucher sur un coup de tête Clara (Isabel Zuaa), noire et dépourvue de tous certificats et références. On peut certes alléguer que les deux femmes deviendront par la suite amantes mais la rencontre initiale ne laisse pas percevoir le moindre coup de foudre. De la même façon, après la mort en couches d’Ana survient une ellipse qui est de longue durée puisqu’on retrouve Clara devenue infirmière et mère adoptive de Joel, le petit garçon qui est né en déchiquetant le ventre de sa mère.
Car le père de l’enfant Joel est un loup-garou qui a contaminé Ana dont Clara a surpris les crises de somnambulisme pendant lesquelles, inconsciente, elle capture des bêtes errantes qu’elle dévore…
Dix ans plus tard, donc, Clara élève avec tendresse le jeune Joel (Miguel Lobo), qui est beau comme tout et vit comme tous les autres enfants de son âge, si de n’est que, sous prétexte d’allergies il lui est défendu de toucher à la moindre viande. Et puis, à chaque pleine lune, l’enfant, dont le corps se couvre de poils et dont les ongles deviennent griffes, est enfermé par sa mère adoptive dans la petite chambre, une sorte de cellule bien dissimulée dont le mur est doté de solides chaînes et menottes ; et ceci jusqu’à la lunaison suivante.
La situation pourrait durer ainsi longtemps si, comme de juste, un grain de sable ne se glissait dans la machine, c’est-à-dire dans la vie étrange de Clara et de Joel. Mme Amélia (Cida Moreira), la logeuse, qui est plutôt une brave femme, grassouillette et musicienne, est assez navrée de ne jamais voir Joel manger de viande et lui cuisine un steak. Malheur ! Joel et son copain Mauricio (Felipe Kenji) font l’école buissonnière, se laissent enfermer dans un centre commercial une nuit de pleine lune. Il ne restera pas grand chose de Mauricio.
La suite à l’avenant ; mais c’est fait avec talent et, bien que les péripéties soient assez prévisibles donc, ça se laisse voir sans déplaisir aucun. D’autant qu’il y a une attention particulière donnée aux décors, à l’alternance entre les ruelles pauvres, les favellas et les immeubles modernes ennuyeux. Il y a des averses de pluie, des lumières brutales. Les acteurs, tous inconnus, sont plutôt bien dirigés, la musique agréable. Mais mon point de vue est que le mythe du loup-garou est trop marqué par la fatalité, par la pesanteur de cette fatalité pour être vraiment satisfaisant. Je sais bien que c’est une manie de l’époque de vouloir les monstres tous innocents et frappés par une malédiction. C’est beaucoup moins intéressant que ne le sont les suppôts du Mal, ceux qui ont consciemment choisi la noirceur du Démon et qui s’en font gloire. Les vampires préexistants au Dracula de Coppola, les satanistes déterminés de La malédiction ou de Une fille pour le diable, les tueurs pervers conscients de leur puissance (Le silence des agneaux ou Confession d’un cannibale) me semblent infiniment plus fascinants.
Mais enfin, ce n’est pas mal, déjà.