Chat noir, chat blanc

chat_noir_chat_blanc0Un film fou-furieux !

C’est bien un film fou-furieux que Kusturica réalise après le parabolique Underground et avant l’enthousiasmant La vie est un miracle, un film drôle, gai, plein d’énergie vitale, de fanfares caracolantes, d’empathie pour une joyeuse bande de cinglés qui pensent avant tout à la musique et à l’amour, même si l’argent, les dettes, les coups tordus et fulminants, la poudre blanche, les grosses voitures américaines et les bimbos voyantes sont constamment au devant de la scène ; à dire le vrai, quelle que soit la cupidité, la voracité et la cruauté des méchants, on n’y croit qu’à demi, comme on ne croit qu’à demi à la violence des dessins animés de Tex Avery ou, plutôt, comme on n’y attache pas d’importance…

Rien ne ressemble plus à un dessin animé que ce film, d’ailleurs : le rythme, la frénésie, l’outrance, les cavalcades endiablées, les hasards miraculeux, les contrastes entres nains et géants, la variété des couleurs, et tant d’autres choses… Au point qu’on peut comprendre que certains n’aiment pas ce cinéma-là, fait tout d’affectivité et de démesure…

Si l’image récurrente de l’énorme cochon qui dévore la carrosserie rouillée d’une bagnole abandonnée est la plus connue, les animaux, comme toujours chez Kusturica, viennent rappeler que, si La vie est un miracle, elle est aussi une fable : chats, chiens, oies, hamsters, postés au milieu des humains, témoins de leurs absurdités, notes calmes au sein d’un joyeux capharnaüm… les oies jasent, les canards cancanent, les Tziganes jouent, le monde s’agite…

Et puis il y a plein de ce que je crois être des références, des citations tendres, quelquefois ironiques : l’entrée dans l’image d’un grand bateau de croisière, sur le fleuve, sur l’air du Beau Danube bleu fait naturellement songer à l’arrivée de la navette lunaire de 2001 , le grincement d’une éolienne à côté d’un passage à niveau au début de Il était une fois dans l’Ouest, le scintillement calme de l’eau qui coule et miroite sous les rayons au Déjeuner sur l’herbe ou à Soleil trompeur… Il n’est pas jusqu’à la mésaventure du gangster psychopathe Dadan, enfoui dans la fosse septique, qui ne fasse songer à Coup de torchon où il arrive la même chose à l’avide Vanderbrouck (Michel Beaune)…

Les acteurs, presque tous amateurs, et tous inconnus, sont absolument formidables de naturel, de gaieté, d’énergie, d’enthousiasme… On retrouve certaines trognes invraisemblables et délicieuses du Temps des Gitans, ce peuple où, selon Kusturica, s’est réfugiée toute la fantaisie du monde…

C’est vraiment une cure de bonne humeur, de ressort, de goût de la vie ; un film qui fait furieusement aimer les fanfares de cuivres, le Danube paisible, les jeunes filles ensorceleuses qui sèment leurs vêtements dans les champs de maïs pour qu’on puisse les y trouver, les bons géants à grandes moustaches, les toutes petites femmes volontaires, les pains de glace ; et presque les dents en or.

C’est dire !

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