Comment comprendre qu’un truc aussi innommable que le hamburger graisseux soit parvenu au succès total, global, mondial et règne sur les cinq continents sans partage ? Quelle peine j’ai eue en apprenant qu’au début du dégel soviétique, une des premières implantations du Monde prétendu libre à Moscou fut un MacDonald, alors que j’espérais de toutes mes forces que la Vieille Russie résisterait à cet abominable tsunami ! Je n’en ai goûté que deux fois dans ma vie, une parce que mon fils, alors âgé de neuf ans et fêtant son anniversaire avait obtenu que nous invitions une bande de ses copains dans une partie privatisée d’une de ces gargotes (avec ballons de baudruche compris), l’autre parce que sur un chemin de plage nous n’avons trouvé que ça. Je précise que mes enfants, l’adolescence passée et la vie professionnelle venue, ont rejeté aux limbes extérieures toute cette mangeaille étasunienne, qui nous empoisonne autant que la mixture Coca-Cola.
Qu’on ne me fasse pas dire que je prends la nourriture à bon marché avec la hauteur et le mépris inhérent à celui qui, favorisé de la Fortune, peut se payer davantage que du bifteck haché imbibant un pain spongieux : si mon taux de cholestérol le permettait, je ferais souvent des razzias des brindilles de poulet pané et mariné des Kentucky fried chicken (KFC) : c’est dangereux, et pourtant excellent.
Mais le MacDo, c’est vraiment dégueulasse. Tant que ça se limitait aux contrées exotiques des États-Unis, ça ne dérangeait personne. Le problème, c’est que ça s’est diffusé partout, en grande partie grâce à ce Raymond Kroc (Michael Keaton) dont le film de John Lee Hancock conte l’ascension déferlante.
Le fondateur, ce n’est pas mal fait du tout et ça décrit dans ce qu’on appelle je crois, un biopic l’histoire de ce petit vendeur itinérant minable qui s’est essayé à presque tout sans grand succès, qui survit à peu près honorablement aux côtés de Ethel (Laura Dern), sa femme, acharné au travail et qui a l’illumination de sa vie. Parce que, de ses mixeurs à milk-shakes, dont bien peu de restaurants veulent, il a reçu une grosse commande, il découvre, au fin fond de la Californie, un restaurant du bord de route où deux frères géniaux Richard Dick (Nick Offerman) et Maurice Mac (John Carroll Lynch) MacDonald ont inventé le concept de service rapide.
Organisation impeccable, automatisation des procédures, normalisation des quantités vendues, taylorisation des gestes, tout est déjà conçu. Mais les frères MacDonald ont une sorte de conception irénique de leur métier, ne le font pas pour gagner de l’argent, mais presque comme des artistes destinés à perfectionner un processus. Kroc, qui n’a jamais rien réussi dans la vie jusqu’alors, qui est un peu la risée de toutes les relations qu’il peut avoir dans la petite ville de l’Illinois où il réside modestement, se lance. Et par une suite de hasards et de rencontres, animé par une vorace volonté de réussir et doté d’assez peu de scrupules, il parvient graduellement à prendre la main sur les fondateurs du concept à les marginaliser puis à les évincer.
Le film retrace agréablement son cheminement vers un succès planétaire, incommensurable et – même pour lui – inimaginable. Les requins de finance ont vite compris le potentiel de cette restauration de masse bon marché, facile à fabriquer et extrêmement addictive. Il ne s’agit donc, après avoir liquidé les deux fondateurs initiaux, que déferler dans la pente et de profiter des vitesses acquises pour s’établir en maîtres sur tout le territoire américain puis, peu à peu, sur le monde entier.
C’est bien intéressant de voir le capitalisme en œuvre.