Cinq millions comptant

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La curiosité est un vilain défaut

Au temps où la télévision était encore une distraction pour initiés fortunés, des émissions de radio réunissaient autour des gros postes à lumière verte des cohortes d’auditeurs passionnés ; les feuilletons quotidiens avaient leur public, les émissions hebdomadaires de jeux et concours plus encore.

Et comme les familles allaient beaucoup plus au cinéma qu’aujourd’hui (j’ai lu quelque part que – au nombre d’habitants, 65 millions contre 40 – on allait deux fois plus dans les salles obscures dans les années Cinquante que maintenant), il n’était pas absurde de donner à voir dans des films ce que l’on entendait chez soi.

Dans la catégorie des feuilletons, le précurseur aura été La famille Duraton, mais il y a eu aussi un Signé : Furax ( Marc Simenon) preuve d’éclectisme s’il en est.

Dans la catégorie des émissions de jeux filmées, je vois un Quitte ou double de Robert Vernay, un Cent francs par seconde de Jean Boyer et – du même Titan de la réalisation, ces Cinq millions comptant qui nous intéressent ici.

Écrivant cela, je me repens immédiatement car je doute fort qu’un maboule autre que votre serviteur puisse s’intéresser une seconde à ce gouffre abyssal de nullité.

Il faut dire que je n’avais absolument aucune illusion sur la qualité de ce que je n’ose pas appeler une œuvre mais que j’espérais voir receler quelques petites paillettes aurifères au milieu de quelques tonnes de sable.

En fait ma malsaine curiosité n’était pas tournée vers la découverte d’une émission radiophonique mythique, puisque Cinq millions comptant n’a jamais existé qu’au cinéma (et s’inspire d’ailleurs, en l’occurrence, avec un gros clin d’œil, de la réelle émission Cent francs par seconde, le véridique Monsieur Champagne de l’une se transformant simplement en Monsieur Bourgogne chargé, lui aussi, de poser des questions compliquées aux candidats. (Champagne et Bourgogne : on voit par là que c’est délicieusement spirituel !).

Si donc je m’escrime à dire à une communauté lectrice  (qui s’en fichera complètement et aura bien raison) pourquoi j’ai acheté et regardé cette nullité, c’est parce qu’elle comporte au générique deux noms amples et sacrés pour tout amateur de nanard : ceux de Jean Bretonnière et de Geneviève Kervine. Réunis dans la vie, ils le furent souvent au cinéma mais je crois bien que Cinq millions comptant est la seule de leurs bluettes qui soit parue en DVD ; d’où ma coupable faiblesse.

Ah ! Qui sont ces phares du divertissement cinématographique, allez-vous demander ! Je vous attendais à ce tournant-là.

Eh bien Jean Bretonnière était un assez lourd garçon, au physique incertain et calamistré, dont la voix lustrée comme un parquet de maison bourgeoise semblait un rare compromis entre celles de Georges Guétary, d’André Dassary et d’André Claveau ; c’était un de ces chanteurs de charme qui susurraient, l’œil charbonneux et vide tout à la fois, des mélodies accablantes de bêtise et de niaiserie. Beaux succès entre 1954 et 1959 ; puis plus rien ; rien du tout. Une rumeur que je conserve en tête est qu’il a été alors arrêté pour un trafic louche, de drogue, sans doute.

Et Geneviève Kervine ? Outre d’être la compagne, puis la femme du précédent, ce frais minois blondinet peut évoquer, pour les plus anciens d’entre nous un slogan publicitaire décliné sur tous les tons dans une France où l’on vendait moins d’une brosse à dents par personne et par an : Dents blanches ! Haleine fraîche ! Super-dentifrice Colgate ! ; c’était elle, la mijaurée qui nous incitait à nous occuper de nos quenottes !

Bon; Donc Cinq millions comptant est nul ; le film pâtit d’une des plus médiocres distributions de l’histoire du cinéma : Jane Sourza de plus en plus glapissante et agitée ; Darry Cowl exaspérant comme toujours quand le film repose sur lui, Nadine Tallier, future baronne de Rothschild (et sans doute qualifiée à donner des leçons de savoir vivre pour avoir joué tant de bêtises) et Ded Rysel, au nez de fouine, aussi insuffisant que d’habitude.

Alors, me direz-vous, si vous avez eu le courage de lire jusqu’au bout ce trop long message, alors pourquoi mettre une note de 1, et pas le 0 qui paraît s’imposer ? Eh bien pour deux grands moments de délire nanardesque, qui comptent parmi les pires séquences jamais vues : Jean Bretonnière chantant Ça m’fait plaisir ! et Jane Sourza faisant mine d’apprendre à danser le cha-cha-cha. J’en suis encore pétrifié d’émotion.

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