Mais qu’est-ce qui t’a pris, Marcel ?
Mais oui, enfin, Marcel, qu’est-ce qui t’a pris, toi l’auteur subtil, drôle et émouvant de Marius, de Topaze, du Schpountz, l’adaptateur habile et souvent inspiré d’Angèle, de Regain, de La femme du boulanger, le cinéaste intelligent de La fille du puisatier, de Naïs, de Manon des sources, qu’est-ce qui t’a pris de tourner cette horreur-là où, pas une fois, pas une seule seconde, l’amateur de ton talent que je suis n’a reconnu ta patte ?
Qu’est-ce qui t’a pris de choisir pour jouer un compositeur autrichien de génie, syphilitique et mort à 31 ans, une des plus grosses outres de la chanson française, un bellâtre particulièrement exaspérant qui a 41 ans, au moment où il tourne La belle meunière, qui est empâté, alourdi, ventripotent et dont les bluettes qu’il a tournées avant-guerre, aux temps de sa (relative) sveltesse (Marinella ou Naples au baiser de feu) ont amplement montré qu’il n’était pas un acteur ?
Qu’est-ce qui t’a pris de choisir, pour un des premiers films en couleur du cinéma français, le procédé Rouxcolor qui, dût notre amour-propre national en souffrir, n’arrive pas à la cheville du Technicolor et donne des tons verdâtres, pisseux, glaireux, éteints, qui font irrésistiblement songer aux films colorisés d’il y a dix ou quinze ans ?
Qu’est-ce qui t’a pris de donner à ta femme Jacqueline, qui n’a que vingt-deux ans et que tu as épousée deux ans auparavant, ce rôle d’ingénue libertine, fille de meunier qui rêve à la ville, qui s’entiche du pauvre Schubert parce qu’il lui chante des mélodies suaves, mais qui l’abandonnera bien vite dès que passera sur son chemin le comte Christian (Raphaël Patorni), qui est un bien autre mâle que le pauvre compositeur ?
Qu’est-ce qui t’a pris, surtout, de confiner ton action dans le cadre très restreint du moulin et de la rivière, de t’enfermer sur ce tout petit périmètre et de passer les deux tiers du film à faire chanter des airs schubertiens et plaintifs à Tino Rossi qui a une voix de marshmallow ?
Ennui profond, effarement devant le naufrage d’un Pagnol qui ne ressemble à aucun des Pagnol qu’on aime, niaiserie de l’intrigue, couleurs pâteuses… tout pour déplaire et, au final, un des plus mauvais films que j’aie jamais vus…