Voici la version sombre, à prétention inquiétante, du fameux Cercle des poètes disparus de Peter Weir, qui, près de vingt ans plus tard, braquait ses projecteurs sur la capacité d’un professeur charismatique et séduisant de fasciner une classe de grands d’adolescents. Ceci jusqu’à faire perdre toute mesure à des élèves désormais prêts à tout, ou presque, pour suivre les orientations d’une sorte de gourou qui sait les manipuler vers de bases besognes. Adolescence, âge compliqué de la vie où l’on peut, de fait, se vouer à l’enseignement et aux préceptes d’un maître et en suivre aveuglément le chemin.
La position de base est séduisante ; en fait bien plus vénéneuse que séduisante, ce qui n’est pas un défaut à mes yeux. Un collège catholique des États-Unis, au début des années Soixante sans doute, puisqu’il y a au mur le portait du Pape Saint Jean XXIII et que les prêtres portent la soutane. Les enseignants sont des clercs ou des laïcs. Parmi ceux-ci, le rutilant, bienveillant professeur de Littérature Joseph Dobbs (Robert Preston), mais aussi le sévère, mal embouché, exigeant, rugueux professeur de Latin Jérôme Malley (James Mason).Sous des dehors amicaux, truculents, sympathiques, Dobbs voue une détestation profonde à Malley, qui n’a pas encore pris sa retraite et lui bouche ainsi l’horizon d’accès à la prestigieuse classe Terminale (j’avoue que l’organisation des études n’est pas très claire).
Vient d’être engagé au collège comme professeur de gymnastique le jeune Paul Reiss (Beau Bridges), ancien élève de Dobbs, très attaché à lui et – comme tout le monde – terrifié par la mauvaise triste humeur permanente de Malley (dont la mère est en train de mourir, mais ce n’est pas une raison d’être aussi désagréable). Et parallèlement surgissent de façon inopinée, incompréhensible et toujours affreusement violente des attentats contre certains élèves : scarifications sanglantes, lynchage avec fractures dans les vestiaires, crucifixion ligotée et torture. Des actes inadmissibles, concertés, sadiques dont on ne comprend ni le sens, ni le but. D’autant que les victimes ne parlent pas, ne dénoncent pas leurs tortionnaires, semblent même s’offrir à la méchanceté de leurs camarades. Qu’est-ce que c’est que cette soumission ?
Tout cela pourrait être très bien, d’autant que la structure architecturale du collège, ses couloirs sombres, sa chapelle à peine éclairée par le rougeoiement des veilleuses, ses oratoires religieux placés ici et là permettent de placer devant le spectateur l’adéquate atmosphère d’angoisse qu’il cherche.
Mais Sidney Lumet rate complétement son coup, à part la mise en scène de quelques images sombres, ombreuses, grinçantes. On comprend tout de même assez vite que Dobbs mène une guerre larvée, insidieuse et immonde contre Malley, si dépourvu d’empathie avec quiconque que personne ne le défend lorsque les attaques contre lui, les médisances, les saletés s’accumulent contre lui. Et de fait Malley n’a plus d’autre issue que le suicide. Là, une belle image qui m’a ému : au moment où le pauvre professeur, désagréable et honnête, se tue en s’écrasant dans la cour du collège, le brave Censeur des études se précipite muni de son étole pour prononcer les prières des agonisants ; c’est très beau, très profond.
Sur des prémisses potentiellement aussi intelligentes, un réalisateur qui aurait cru à son sujet pouvait filmer un bien bon film malsain. En fait, il se laisse aller à une grande banalité, une sorte de devoir dont il se lasse vite. Tout ce qui est prévisible, dans le domaine du film d’inquiétude, est voué à décevoir.