Voilà un film qui a l’intelligente disposition d’esprit de ne pas présenter les vampires comme de pauvres créatures vouées par une sorte de malédiction dont elles ne sont pas responsables à accomplir des actes abominables. Celles que Kathryn Bigelow présente dans Aux frontières de l’aube ont été happées sans le vouloir dans le cycle infernal des tueries, mais paraissent n’avoir aucun regret de leurs vies d’auparavant et se satisfaire avec volupté de leurs existences nocturnes de tueries. C’est déjà un bon point pour un film souvent maladroit et boursoufflé d’incohérences narratives, mais bien agréable à regarder et plein d’images magnifiques.
Au fin fond de l’Arizona, dans une bourgade plouquissime, Caleb Coldon (Adrian Pasdar), qui glandouille tous les soirs avec ses potes au milieu des rues vides et terrifiantes d’ennui de la bourgade, aperçoit brutalement une fille merveilleuse : c’est Mae (Jenny Wright) qui sans forcément chercher l’aventure, ne la fuit pas du tout. On devine bien sûr la suite, la promenade dans la nuit sans histoire jusqu’à ce que Mae donne à Caleb l’étrange baiser sanglant qui va transformer sa vie.
Surgissent à ce moment-là les étranges compagnons de misère et d’horreur de Mae, ceux qui partagent avec elle la géhenne : des monstres affreux qui ne peuvent survivre qu’en tuant et en se repaissant du sang des victimes qu’ils rencontrent sur leur dévastateur passage. On regrette vraiment que la réalisatrice n’ait pas donné à ses personnages des épaisseurs un peu plus structurées : on devine sous les apparences de Jesse Hooker (Lance Henriksen), le chef de la bande, de Diamondback (Jenette Goldstein), sa compagne, de Homer (Joshua John Miller), qui a vécu des siècles enfermé dans un corps d’enfant des histoires monstrueuses qui, chacune prise séparément aurait pu donner la matière d’un film, d’un épisode à tout le moins. Au fait Homer fait songer un peu à Claudia (Kirsten Dunst) du bien réussi Entretien avec un vampire de Neil Jordan, la méchanceté en plus.
Car – et ceci est très bien – les créatures du Mal sont encore plus méchantes que malheureuses ; elles ont accepté leur condition et bien davantage que s’en être accommodées, elles en sont heureuses : leur situation leur donne l’extraordinaire volupté de pouvoir satisfaire, sous prétexte de nécessité, leurs pires pulsions. Une des meilleures scènes de Aux frontières de l’aube se passe dans un de ces drôles d’endroits perdus au fin fond des routes étasuniennes : le groupe de tueurs avide de sang et de violence y vient massacrer ceux qui ont eu le malheur d’y passer la soirée. La tension est d’emblée au maximum et le spectateur averti et fasciné sait bien que personne n’en sortira vivant ; il y a pourtant beaucoup d’inventivité et de rythme dans la dévastation, une sorte de massacre presque hiératique où toutes les victimes, fascinées, assistent sans presque réagir à l’horreur.
Cela étant, il y a tout de même dans le film d’importantes scories. En premier lieu les vingt dernières minutes qui plongent dans les pires effets du gore et qui rejoignent l’indispensable religion du happy end. Tout s’arrange, finalement, pour Caleb et Mae, les derniers recrutés, donc les plus préservés de la secte sanglante. On ne comprend pas beaucoup l’intérêt de ce genre de conclusions, sinon pour les producteurs qui souhaitent voir sortir de la salle de cinéma des visages apaisés.
Mais le Mal court. Continue à courir.