Autant le dire et le répéter : j’aime le pur, le naïf, le magnifique Robert Guédiguian et ce n’est pas parce que nos options politiques sont opposées que je rejette l’immense tendresse que je ressens pour ses films et ses désillusions. Guédiguian qui est tout, sauf un imbécile, charrie en lui, sans en être tout à fait dupe, une fascination merveilleuse et un peu ridicule pour une espérance folle, qui fut importante dans l’histoire du monde et que la réalité a remis à sa place. Non, on ne change pas la nature humaine, cher Guédiguian et qui veut faire l’ange fait la bête, on le sait depuis (et avant même) Blaise Pascal. Toutes les tentatives vouées à se sortir de l’élémentaire Humanité sont promises à l’échec.
Voici de bien grands mots pour un film qui n’ajoutera rien de bien intéressant à l’œuvre du réalisateur. Moins d’ailleurs parce qu’il reprend, sur le même mode tonal, des acteurs et des idées vus et revus cent fois que pour la vacuité énervante du discours tenu. Certes après coup on peut légitimement s’agacer que le metteur en scène ne parvienne pas à s’échapper de sa petite famille, identique et absolument prévue : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan ; à qui il faut ajouter depuis quelques films Jacques Boudet ou Anaïs Demoustier. Guédiguian ronronne un peu, se sentant bien dans sa confortable habitude, comme dans de vieilles pantoufles : les rôles des uns et des autres paraissent fixés de toute éternité, assignés aux acteurs : la râleuse, le taciturne, le révolté cynique. Pourquoi pas, mais à la longue, ça fait surgir non plus des personnages, des caractères, mais des marionnettes, des archétypes ; finalement des caricatures.
Robert Guédiguian a beau dire et beau faire, tempêter, se rebeller, s’indigner, se révolter : pour l’instant (et pour toujours sans doute) le capitalisme a gagné et les illusions collectivistes que nourrissait Maurice (Fred Ulysse), le père, lorsque, dans une calanque magnifique, il a installé un restaurant communautaire, ont fait long feu. Armand (Gérard Meylan) fait tout ce qu’il peut pour maintenir la fiction d’un restaurant de qualité à petits prix, mais il voit bien que les requins de finance lorgnent sur le site paradisiaque pour en faire un petit paradis pour riches. Et cela alors que Maurice, le créateur de l’utopie, vient d’être frappé d’un AVC qui l’enferme dans le mutisme et la sidération.
Reviennent alors au foyer Joseph (Jean-Pierre Darroussin), amer professeur à la retraite, qui vit le deuil de ses amours révolutionnaires dans l’aigreur et Angèle (Ariane Ascaride), qui fait une belle carrière théâtrale à Paris mais vit dans l’épouvante et la rancœur : sa toute petite fille, confiée jadis à son père et à ses frères, s’est accidentellement noyée. Angèle porte cette blessure inguérissable, cette horreur inexpiable. Mais – comme toujours chez Guédiguian – les liens immenses de la famille à la fois rassemblent et brutalisent ceux qui les vivent. Il faut bien s’occuper du père, désormais infirme, il faut bien régler de vieux comptes.
Se greffe là-dessus l’histoire amoureuse qui bat de l’aile entre Joseph/Darroussin et la bien plus jeune Bérangère/Anaïs Demoustier. Tout se passe mal malgré les efforts désespérés d’Armand/Meylan, qui tente au maximum de préserver l’ordre du monde. N’y parvient pas évidemment.
Dans ce délitement que chacun peut constater, le réalisateur insinue la nouvelle espérance émerveillée des naïfs dont il a toujours fait partie : ce ne sont plus désormais les ouvriers, ce n’est plus la classe ouvrière – en voie de disparition – qui porte la marche du monde, ce qu’on appelait jadis les lendemains qui chantent : ce sont les nouvelles figures de l’exploitation capitalistique mondiale : les migrants. On s’aperçoit que le metteur en scène, tout accablé par la disparition de l’horizon prolétarien, mais ne voulant en rien accepter la réalité, se donne de nouveaux martyres : ceux qui fuient leurs pays et viennent chercher en Occident un avenir incertain.
Il n’est sûrement pas mauvais que des yeux naïfs puissent venir prétendre interpréter le Monde et tenter de le changer ; il n’est pas certain que ça donne de bons films.