Bien sympathique petit film réalisé par un petit réalisateur sympathique, Frank Capra, voué dès le début de sa carrière à tourner à la gloire des États-Unis d’Amérique, drôle de pays où tout finit toujours bien. Où toutes les pérégrinations, difficultés, ennuyeuses situations finissent par se résoudre au mieux. Film de 1938, animé d’un optimisme délirant : ce n’est pas encore la fin de la grande Crise, commencée en 1929, c’est plutôt la volonté hollywoodienne et rooseveltienne de la faire oublier. Et somme toute, trois ans plus tard et après Pearl-Harbour, l’industrie redémarrera à plein régime et donnera la maîtrise du monde au Nouveau Continent. Qu’y pouvions-nous, avec nos guerres civiles ?
Vous ne l’emporterez pas avec vous est un film plein de charme et d’allure, bâti, malheureusement, sur une pièce de théâtre, c’est-à-dire, en général sur une des situations les plus fausses qui se puissent. Capra n’en est pas ennemi, c’est le moins qu’on puisse dire : au hasard, voir La femme aux miracles, L’enjeu et, un peu plus tard, un de ses plus grands succès, Arsenic et vieilles dentelles. Cela étant, dans Vous ne l’emporterez pas avec vous, on ne sent pas trop la puanteur étriquée des coulisses et leur artifice et on peut même s’amuser de cette drôle d’histoire – mais finalement assez convenue – fondée sur l’éternel conflit qui surgit entre la Cendrillon pauvre et méritante et le Prince charmant un peu guindé et surtout surveillé par toute sa lignée.
Il se trouve donc que la jeune et jolie petite secrétaire Alice Sycamore (Jean Arthur) est amoureuse de Tom Kirby (James Stewart), fils de son patron, le potentat (Edward Arnold) à qui rien ne résiste. Et qui aspire notamment à réaliser une belle opération commerciale, industrielle et urbanistique en achetant la dernière maison qui lui résiste dans un quartier de New-York. Maison qui est précisément l’antre de Grand-père Martin Vanderhof (Lionel Barrymore). Un vieil homme qui, trente ans auparavant, s’est arrêté de travailler pour se consacrer à ce qui lui plaît vraiment et qui a agrégé autour de lui et de sa famille une sorte de phalanstère hédoniste libéral, à mille lieues de la rapacité morbide du capitaliste Kirby.
II n’y a pas besoin d’être bien malin pour comprendre que le film de Frank Capra va mettre en scène le choc des deux mondes et rejouer une cent millième fois l’histoire des amoureux sincères séparés par les préjugés qui leur mettront des bâtons dans les pattes. Il ne faut pas être grand clair pour comprendre que méprises et quiproquos, balivernes et entourloupes vont se succéder à tire-larigot.
Ce qui est un peu forcé – puisque, on vous le dit et on ne le redira jamais assez, ça vient du théâtre, où il faut naturellement forcer tous les effets – c’est que la famille (au sens large) de la gracieuse Alice est composée d’un régiment sympathique d’hurluberlus, tous atteints d’une petite flamme de bizarrerie, attisée par l’excellent, bienveillant Vandenhof dont la philosophie essentielle est finalement celle de l’abbaye de Thélème : Fais ce que voudras. D’où cette communauté libertarienne et fort drôle où coexistent sans peine des tas d’originaux, plus ou moins cinglés, au milieu d’une grande gaieté. La morale de l’histoire veut que ce soit le groupe un peu illuminé qui l’emporte sur le capitalisme agressif desséché. Pourquoi pas ? C’est assez animé et sympathique. Comme dans tous les films de la période, tout finit par s’arranger au mieux : les amoureux, un temps séparés, se retrouvent, les adversaires se tombent dans les bras, les familles, si différentes qu’elles étaient, fusionnent (ou presque), les projets immobiliers destructeurs sont abandonnés.
Tout cela est filmé frontalement, sans talent particulier, par ce bon artisan de Capra. On sourit souvent, on est bien content que ça se termine au mieux. De là à porter tout ça au pinacle !!!