On ne badine pas avec l’amour.
Eh bien voilà qui ne me permettra pas d’accomplir une sorte de chemin de Damas, de me convertir au cinéma d’Orson Welles. Je n’ai certes pas épuisé toute sa filmographie de réalisateur ; je n’ai encore vu ni Le procès, ni Une histoire immortelle ; ni même Falstaff ; et comme je trouve ce que j’ai trouvé de mieux jusqu’alors ce sont les adaptations de Shakespeare, c’est-à-dire Othello et surtout Macbeth, c’est peut-être là que je trouverai mon bonheur.
Parce que si je suis tout à fait disposé à admettre que Citizen Kane a apporté un souffle neuf dans la beauté du cinéma, je n’en ai pas du tout été transporté, ni même ému. Et La splendeur des Amberson, Mr. Arkadin, La soif du mal m’ont tous semblé couler de la même eau : brillants, intelligents, virtuoses et finalement assez vains. Admirable acteur (y compris avec d’autres réalisateurs : Le troisième homme, Moby dick ou La décade prodigieuse), plus admirable encore metteur en images ; mais auteur de films ? Je m’interroge encore.
On me dira, à très juste raison, que La dame de Shanghai a été amputée d’une bonne heure et que les coupes que Welles aurait consenties ne sont pas celles qui ont été pratiquées par ces forbans de producteurs. Je le conçois et verse la pièce au dossier. N’empêche que la raison, pour être pertinente, n’est pas du tout suffisante. Que dans un film aussi noir, que dans un thriller plein de mystères et de faux coupables le réalisateur puisse autant négliger le script, le récit, au seul bénéfice de scènes spectaculaires devenues, dès lors, assez vaines, prenant le statut de moments de bravoure, paraît démontrer une certaine indifférence au plaisir – ce qui n’est pas grand chose, de fait – mais surtout à l’intérêt du spectateur.
Spectateur qui se perd très vite, trop vite dans une intrigue compliquée à l’extrême, hachée, coupée en morceaux et avec des personnages dont on ne perçoit guère la substance et dont on ne comprendra pas, jusqu’à la fin les mobiles.
On a certes bien saisi que le naïf Michael O’Hara (Welleslui-même), devenu l’amant de la magnifique Elsa Bannister (Rita Hayworth, sublime en blonde à cheveux courts) dont le mari Arthur (Everett Sloane), avocat infirme paraît bien indifférent à la tromperie de sa femme, qu’O’Hara, donc, est manipulé par une bande de requins et plongé volens, nolens dans des manigances dangereuses. Je ne voudrais pas commettre un sacrilège majeur, mais il me semble qu’un petit film français réalisé en 1957 par Denys de La Patellière et qui s’appelle Retour de manivelle avait des analogies avec La dame de Shanghai, en moins brillant mais en bien plus compréhensible.
Car le film est brillant, certes et certaines scènes marquent largement la mémoire : la conversation entre les deux amants dans un étrange aquarium aux poissons inquiétants (en fait, le premier hublot montre même un poulpe géant : rien de plus clair !) ; aussi le singulier Palais des mirages du quartier chinois et la dégringolade d’O’Hara dans un immense toboggan ; et évidemment le labyrinthe des miroirs qui démultiplie à l’infini Bannister et sa femme qui se tirent dessus. Mais parallèlement, tant de scènes niaises ou ridicules ! Ainsi au tout début la bagarre qui oppose O’Hara/Welles à trois voyous qui ont attaqué Elsa/Hayworth, ainsi les lentes et pénibles scènes de procès, couronnées par l’invraisemblable évasion du prévenu…
On aimerait aimer. Mais…