Comme tous ceux qui ont reçu en 1961 un des chocs de leur éveil au cinéma en découvrant le West side story de Robert Wise, j’ai été interloqué et même légèrement agacé lorsque j’ai appris que l’estimable Steven Spielberg avait entrepris d’en tourner un remake. Et que cette reprise soit – paraît-il -plus conforme à la comédie musicale créée à Broadway en 1957, plus respectueux de sa composition ne me semblait pas un argument bien pertinent, parce que cette fidélité plus ou moins scrupuleuse est absolument sans importance. Scepticisme et une petite nuance d’irritation même. Ce qu’on ressent devant ce qui paraît être un iconoclasme inutile. Puis, au fil des lectures de critiques ou de conversations avec des gens à qui je reconnais du goût, une sorte de petite musique qui frissonne dans l’air et qui prend du ton : on me dit que le film de Spielberg est honnête. Il n’est même pas mal du tout.
Autant aller le voir, dans ces conditions. On sait que personne n’aura touché à la merveilleuse musique de Leonard Bernstein, on se doute que les chorégraphies ne trahiront pas trop l’inspiration de Jérôme Robbins, que le récit conservera sa splendeur mélodramatique et que cet excellent metteur en scène de Steven Spielberg nous enverra en plein dans les yeux un spectacle de qualité, nous surprendra même agréablement ici et là ; d’autant que, depuis 1961 les techniques cinématographiques ont connu de substantiels progrès et que les caméras vont pouvoir s’en donner à cœur joie dans une histoire où le mouvement a une si grande importance.
On a pourtant une petite crainte sur la distribution ; peut-être infondée, mais… On sait bien que ni Richard Beymer (Tony), ni Russ Tamblyn (Riff) n’ont laissé grande trace dans l’histoire du cinéma, mais on conserve bien solidement en tête les silhouettes et les visages de George Chakiris (Bernardo) et surtout de Rita Moreno (Anita). Et enfin comment trouver une Maria plus gracieuse que Natalie Wood ? On sait bien les autres acteurs, les utilités, les seconds rôles, les arrière-plans seront à la hauteur (les Étasuniens savent faire ça), mais l’essentiel ce sont les cinq personnages principaux. Les nouveaux vont-ils être suffisants ?
En 1961, tout le monde avait été bluffé par l’arrivée de haut vol sur New-York et la caméra qui s’insinuait de plus en plus près du terrain où Jets et Sharks allaient commencer à s’affronter. En 2021, le souffle est un peu moins fort : on découvre un quartier déchiqueté par la rénovation urbaine ; on sent d’emblée que le discours va être un peu plus politique. C’est d’ailleurs un peu insidieux et tellement conforme au politiquement correct d’aujourd’hui ! Sans doute Jets et Sharks présentaient, dans le film de jadis, une forte identité ; mais – j’exagère à dessein – c’était un peu comme les bagarres homériques entre Longevernes et Velrans dans La guerre des boutons ; dans le film de Spielberg, c’est un drame racial, empli de haine entre deux bandes irréconciliables… sauf à la fin où, au mépris de toute vraisemblance, les deux camps portent gravement le corps assassiné du pauvre Toni.
Mêmement le rôle joué par la jeune lesbienne, complaisamment mise en évidence, qui ne rêve rien mieux que d’être incorporée virilement dans les rangs des Jets ; quarante ans après elle prendrait la physionomie rebutante d’une Alice Coffin vouée à la haine du mâle et à l’exaltation de sa singularité.
C’est tout de même dommage qu’un aussi grand cinéaste que Spielberg se laisse avoir par les billevesées vertueuses du moment ; ça navre un peu son propos. Propos au demeurant bien troussé, bien filmé, agréable à suivre.
Je m’interroge : que doivent penser à partir de ce film les jeunes spectateurs qui n’ont pas connu la grâce d’admirer le film de Robert Wise ? Je n’en ai aucune idée. Si je tente de m’abstraire de la fascination historique, il me semble que j’apprécierais ce West side story là comme une de ces belles mécaniques étasuniennes qui en jettent plein la vue ; les acteurs y sont absolument interchangeables et leurs noms, d’ailleurs, s’oublieront au fil des saisons.
Finalement, le plus grand défaut du film, – qui n’en compte pas beaucoup – est d’exister. L’inutilité comme programme.