Mettons tout de suite les choses en place : Lourdes n’est pas un nouveau film sur les apparitions mariales survenues en 1858 devant la toute jeune et fruste Bernadette Soubirous. Pour cela il y a le bien intéressant Chant de Bernadette de Henry King (1943) et des tas d’autres films : Il suffit d’aimer de Robert Darène (1960), Bernadette de Jean Delannoy (1988). Pas davantage une interrogation sur la réalité des miracles, sur quoi ont écrit Zola, Huysmans, Mauriac
D’ailleurs le film documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai met d’emblée les choses au point : la petite ville des Hautes-Pyrénées reçoit 3 millions de visiteurs par an. Depuis un siècle et demi (et un peu plus), les médecins n’ont pu trouver que 7000 guérisons inexplicables, en l’état actuel de la science ; c’est-à-dire que bon nombre d’entre elles pourraient être explicitées au fil des années. Bien plus circonspecte encore l’Église n’admet que 70 miracles, moins d’un par an. L’assez mauvaise et inculte saleté tournée en 1987 par Jean-Pierre Mocky qui s’appelle Le miraculé (où l’on s’étonne de retrouver Michel Serrault) dénonce, ou prétend dénoncer, avec une complaisance baveuse le mercantilisme qui s’est institué autour du mystère.
Car mystère il y a bien : que des foules nombreuses, de tout âge, de toute race, de tout milieu, continuent à affluer à Lourdes. Chacun espère-t-il trouver là une guérison fabuleuse, la solution de soucis insurmontables, la guérison des plaies subies ? Oui et non : c’est plus complexe que ça. Par deux fois, dans le film, des pèlerins sur qui la caméra s’est penchée montrent, d’une certaine façon leur timidité, leur vergogne : Pourquoi la Vierge se pencherait-elle sur moi, alors que tant de gens autour de moi l’implorent ? En quoi le mériterais-je davantage que d’autres qui sont en pire état que moi ou les miens ?
Lourdes ne pose aucune question sur la Foi, sur la réalité des miracles, ni même sur le phénomène qui fait affluer les foules du monde entier. Il y a beaucoup de sanctuaires dans le monde créés à la suite d’apparitions mariales : la Rue du Bac à Paris (1830), La Salette en Dauphiné (1846), Fatima au Portugal (1917), Garabandal en Espagne (1961), Medjugorge en Bosnie (1981) et tant d’autres. Mais Lourdes est sans doute l’histoire la plus fabuleuse qui se puisse.
Les cinéastes ont choisi de filmer sans commentaire. Moins les foules que des groupes ou des individus ; les uns fervents, sans grands soucis (le pèlerinage traditionnel des gitans), d’autres cabossés par la vie : les prostitués, hommes et femmes de l’association Magdalena qui accueille et tente d’aider ceux qui vivent dans la rue ou de la rue ; cet homme qui, après deux tentatives de suicide, ne peut plus ni bouger, ni parler ; ce quadragénaire, hémiplégique depuis qu’il a été renversé par une voiture, enfant, parce qu’il avait échappé à la surveillance de ses parents qui se reprocheront toujours cet instant d’inattention ; cette adolescente un peu contrefaite, qui souffre de kystes graves et qui est moquée par ses camarades de collège sur les réseaux sociaux, que son père accompagne chaque année à Lourdes en rognant sur sa pauvre paye ; ces grands infirmes déformés, abêtis, paralysés, tordus, impotents. Ce condamné brillant qui a été frappé par l’abominable maladie de Charcot, qui n’offre aucun espoir, qui n’a aucun remède, qui se voit peu à peu enfermé dans son corps, perdant chaque jour ses facultés.
Peut-être le plus poignant encore, cet officier de marine qui vient à Lourdes avec son fils aîné, Jean-Marie, qui souffre d’un retard de croissance, mais qui est doux, tendre, intelligent, fervent ; et ils prient tous les deux pour le petit frère, Augustin, qui n’a que deux ans et qui est en soins palliatifs parce qu’il souffre d’une épouvantable maladie orpheline, l‘épidermolyse bulleuse qui créé des plaies très douloureuses sur tout le corps qui va mourir ; et pour la maman, forte, courageuse, magnifique.
Et pour tous ces malades, ces morts-vivants, ces épuisés, ces estropiés, ces laissés pour compte, il y a ceux qui donnent leur temps et leur tendresse : les brancardiers, les infirmiers, les soignants, les humbles nettoyeurs des plaies et des sanies. Bienveillance, humilité, respect, ouverture à l’autre, dévouement sans compter. Ne pas juger, ne pas être dégouté, donner sans compter, sans espérer d’autre qu’un sourire difforme ou un mot d’amitié presque inaudible. C’est pathétique et merveilleux.
Le vrai miracle de Lourdes, c’est bien cela : l’embrasement des dévouements et des tendresses des bénévoles. Et l’apaisement des malades qui repartent avec de la force et du courage. On peut ne pas croire ; on ne peut pas ne pas aimer.