Gentil film très bien tourné, avec de belles images et surtout le charme exceptionnel d’Ava Gardner et le talent protéiforme de James Mason. C’est évidemment un peu long, un peu traînant, un peu studieux, avec des soins très appliqués de donner à une histoire finalement banale – une femme sublime désirée par un grand nombre d’hommes – une dimension légendaire, quasi mythologique. Albert Lewin élabore sa petite cuisine avec tous les ingrédients, tous les aromates nécessaires ; tous les ingrédients et les aromates indispensables pourrait-on dire. On revisite, comme on dit désormais une ou deux ou trois histoires qui font partie de l’imaginaire de notre Occident, on les mixe, on les fait virevolter et se rencontrer, se heurter même et on présente une belle épure.
C’était alors l’époque où l’Espagne – tranquille depuis la victoire du camp national lors de la guerre civile – illuminait les esprits des voyageurs cosmopolites, des parasites sociaux bien élevés, des laissés-pour-compte du monde industriel, des esthètes très éthérés. Dans une station balnéaire assez chic vivent, ou se sédimentent, si l’on veut, quelques uns de ces inutiles qui errent entre cocktails et réceptions mondaines, soirées tièdes et nuits dansées. Pandora Reynolds (Ava Gardner), chanteuse étasunienne qui rencontre un grand succès, absorbe le désir de tous, fascine poète, torero, homme du monde… Et davantage encore, quand elle l’a trouvé, Hendrick Van der Zee (James Mason), le fastueux, le légendaire Hollandais volant.
Ce personnage mythique qui, après avoir cru que sa femme l’avait trahi, après l’avoir tuée par vengeance, après avoir maudit Dieu lors de son procès, a été condamné à errer perpétuellement sur les océans jusqu’à ce qu’une femme puisse le rédimer en l’aimant au delà de sa vie. Et qui tous les sept ans dispose de six mois pour sortir de sa géhenne. Vieille légende qui rejoint les mythes les plus anciens de l’Humanité, légende de La Belle et la Bête, légendes aussi des crapauds qui se métamorphosent en Prince charmant dès que la Beauté les baise au front.
Disons sans ambages que James Mason est nettement plus présentable ; que les soupirants de Pandora ne sont pas non plus négligeables, qu’ils soient le poète suicidé par désespoir Reggie Demarest (Marius Goring) ou le champion automobile Stephen Cameron (Nigel Patrick) ou même l’ombrageux torero Juan Montalvo (Mario Cabré). Mais toutes ces personnalités manquent largement de substance et d’épaisseur. Pandora/Gardner n’a pas vraiment besoin d’irradier cette personnalité : par son animale fascinante beauté, elle n’a aucun besoin de se mettre plus avant en exposition ; le plus bel animal du monde suffit à fasciner les désirs.
Mais les soupirants de la panthère ont bien peu de structure, bien peu d’intérêt : des histrions assez insignifiants (le poète alcoolisé et plutôt ridicule, le coureur automobile puéril) et le regard sombre du Hollandais volant/Mason à qui, brusquement, violemment, Pandora déclare sa flamme…
Allez, avouons-le : le scénario de Pandora est d’une insigne bêtise ; on ne croit pas une seconde à l’histoire, alors que dans L’aventure de Mme Muir on pouvait, grâce à Mankiewicz, suivre Gene Tierney jusqu’au bout de son fantasme et on parvenait à entrer dans sa rêverie. C’est tout plein de jolies scènes, plein de belles images, mais c’est bien trop pictural pour être vrai.
Et lorsque le cinéma se fossilise de cette façon, on le regarde sans antipathie, mais sans enthousiasme non plus.