Les rendez-vous d’Anna

De la difficulté d’être femme.

Au vu du deuxième film que je découvre de Chantal Akerman, je n’ai pas besoin de m’interroger longuement pour comprendre que la réalisatrice est structurellement une écorchée vive. Ce que me confirme ce que j’apprends de sa vie personnelle, notamment de la déportation de ses grands-parents et de sa mère à Auschwitz. D’ailleurs, ça ne rate pas (ou plutôt elle ne se rate pas) : à 65 ans, en 2015, souffrant de troubles maniaco-dépressifs, elle se suicide. Voilà qui est assez clair, qui montre en tout cas combien il est difficile de vivre.

Et de fait les femmes qu’elle met en scène ont une forme d’absence au monde, de distance froide, même glacée, avec ceux qui les entourent, qui incline à songer qu’elles ont une parenté certaine avec celle qui tourne ; et il m’étonnerait bien qu’il n’y ait pas de larges couches autobiographiques, plus ou moins décelables, qui s’insinuent dans ses films. Je n’en ai donc vu que deux, que je note sans complaisance, mais que je ne puis pas considérer, malgré tout ce qui m’en sépare, de médiocres ou d’inintéressants. Aussi bien Jeanne Dielman que Les rendez-vous d’Anna sont des films de malaise, des films de pesanteur ; on peut les trouver longs, austères, rébarbatifs, on peut trouver que la sexualité qui y est présentée n’a rien d’aimable ou d’heureux, et que Jeanne aussi bien qu’Anna vivent dans la grisaille, même dans la noirceur.

Mais si incompréhensible que leur caractère puisse être à qui n’est pas frappé par cette sorte de malédiction de la vie, ces femmes sont présentées avec soin, précision, rigueur, peut-être même scrupule. Sans doute aussi avec une certaine tendresse de la part de la réalisatrice, alors que c’est là un mot, un sentiment, une attitude qu’elles ne manifestent à aucun moment des films.

Anna (Aurore Clément) qui doit avoir la trentaine, parcourt l’Europe de l’ouest pour présenter un film qu’elle a tourné – et dont, d’ailleurs, on ne saura rien. C’est dans son périple entre Essen, dans la Ruhr, Cologne, Bruxelles et Paris qu’on la suit. À Essen, grande ville moche, moderne, bruyante, elle s’ennuie dans un hôtel proche de la gare, avec le roulement des trains en bruit de fond. Après la soirée au cinéma, elle couche avec un jeune instituteur animateur du ciné-club local (Hanns Zischler). Pour quoi ? Pour rien. Par indifférence et facilité. Et lorsque l’homme lui présente, le lendemain, sa petite maison minable où il vit seul, avec sa mère et sa fille, puisque sa femme l’a quitté, qu’est-ce que ça peut lui faire ?

À Cologne, Anna rencontre Ida (Magali Noël) qui lui parle de son fils, ancien amoureux d’Anna qu’elle aimerait bien lui faire retrouver. Dans le train, dans le couloir (heureux temps des couloirs !) long bavardage avec un type qui a envie de parler ; envie de davantage ? Oui sans doute si l’opportunité se présentait, mais est-ce que ça peut avoir une véritable importance ? Puis à Bruxelles, Anna revoit sa mère (Léa Massari) ; que dire ? Pour ces femmes, tout n’est que catastrophes et accablements.

À Paris, Daniel (Jean-Pierre Cassel) récupère Anna à la Gare du Nord ; il a envie d’elle ; ils vont à l’hôtel ; il ne s’y sent pas bien ; elle va chercher un médicament à la prochaine pharmacie qui est au diable vauvert. Pourquoi pas ? Sans doute est-ce ainsi que les hommes vivent, comme écrivait Louis Aragon.

Dialogues plutôt minables qui font songer à ceux de Marguerite Duras ; du type – Tu as une nouvelle chemise ? -Non, c’est une vieille que je ne mettais plus jamais. – Elle te va bien !. On voit l’intensité du propos. Film verbeux, compliqué, content de lui. Et pourtant nullement dénué d’un certain charme.

Allez savoir pourquoi !

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