Le film de Laurent Tuel est adapté d’une série de bandes dessinées d’un certain Manu Larcenet qui doit avoir quelque notoriété dans ce domaine. Domaine qui m’est tellement inconnu que je n’ai aucune velléité de l’évoquer, mes références dans le domaine s’arrêtant à Hergé et à Edgar P. Jacobs, C’est comme si, en d’autres termes, je parlais Histoire des haines de Brunehaut et de Frédégonde mises en scène par Augustin Thierry dans ses admirables Récits des temps mérovingiens que sottement on ne lit plus.
Où en étais-je ? Dans une histoire bien roulée (comme on dit qu’une fille l’est ; ou plutôt comme on pouvait le dire avant MeToo et le wokisme) ; une histoire bien pleine de toutes les nostalgies et les stupidités remâchées du Camp du Bien. À ce niveau là, c’est d’ailleurs presque un exercice de style, un récit archétypal. Le personnage principal, Marco (Nicolas Duvauchelle) et son frère Gilles (Jérémy Azencott) sont issus d’une famille ouvrière de dockers de Lorient. Le père (Olivier Perrier) et la mère (Liliane Rovère) sont de très braves gens qui, un peu comme dans les films de Robert Guédiguian bien plus au Sud, ont élevé leurs fils avec amour et honnêteté.
Cela étant, les deux frères – voilà l’inclusion dans la modernité – ne sont pas allés trimer dans les chantiers navals : Marco est photographe, d’un assez haut niveau pour avoir été reporter de guerre ; le second, Gilles est auteur de BD. Qu’on le veuille ou non, il y a changement de paradigme : les prolos d’hier ont donné naissance aux bobos d’aujourd’hui (bobos quand ça réussit, intermittents du spectacle quand ça rate, ou marche mal).
Depuis son enfance, Marco est sujet à des crises d’angoisse pathologiques, dont on hésite à dire si elles viennent d’une déficience physiologique ou d’un traumatisme d’enfance. Il n’est pas à son aise, il se bourre d’anxiolytiques et de sédatifs, il se confie à des psychanalystes. Et en fin de compte, il abandonne son boulot de reporter d’images pour se réfugier dans un corps de ferme modeste d’un petit patelin de la belle Dordogne. Il n’a pas de mal à y séduire (le cheptel masculin n’étant sans doute pas très au niveau) la jeune Émilie (Maud Wyler), vétérinaire du coin.
Mais comme le garçon n’est pas bien stable, comme il craint que ses errements mentaux soient déterminants, il ne s’engage pas bien complétement. D’ailleurs, parallèlement, son père voit bien que montent en lui les délices de notre vieux camarade Alzheimer. Et comme il ne peut pas y résister, il choisit de se suicider. Ça complète le tableau, d’une certaine façon.
Il s’agit donc d’un film bien sentencieux, bien conforme aux ukases de notre temps : on s’y croirait presque dans une publicité : la belle-sœur de Marco, la très jolie Naïma (Randiane Naly), se déplace spécialement de Lorient à Toulouse (où elle est encore inscrite sur les listes électorales) pour voter afin de barrer la route au Front National ; et Bastounet (Ludovic Berthillot) le camarade de classe de Marco, fruste docker qui en a un peu marre de la situation est près à voter pour l’hydre épouvantable (Horreur ! Malheur !).
Reste aussi à ajouter une couche à l’horreur : le voisin de Marco, dans la belle campagne de Dordogne est un type sympathique et calme, Moret (André Wilms) ; mais (Horreur, Malheur !) on découvre qu’il fut jadis officier de l’Armée française en Algérie et qu’il a fait un peu tourner vite la gégéne contre les fellaghas (qui, de leur côté, coupaient les burnes des loyalistes et les cousaient dans leurs bouches : ces temps étaient délicats). Donc le commandant Moret, qui a eu dans son escouade le père du lumineux Marco (et qui nourrit une affreuse culpabilité depuis lors) a bien honte des méchancetés commises. Et Marco a bien raison de lui faire la gueule.
On aura compris que le film est vertueux. Heureusement beaucoup de ses images sont tournées dans la lumineuse Dordogne, qu’on ne peut pas ne pas aimer.