« Le Christ dans la banlieue »
Voilà un film qui marque bien clairement – presque naïvement – son propos ; un film qui révulserait la bien-pensance d’aujourd’hui, puisqu’il emprunte tous les codes de la bien-pensance d’avant-hier. Un film bien intéressant de ce fait, d’ailleurs. Un jeune prêtre, l’abbé Vincent (François Rozet), vicaire d’une opulente paroisse parisienne, obtient de ses supérieurs d’aller évangéliser un des pires coins de la banlieue, La Californie (ainsi nommée par antiphrase) dans la fameuse Zone qui s’est établie sur les fortifications démolies et où métastasent les bidonvilles.
Notre-Dame de la Mouise va montrer combien les pauvres miséreux de la Zone, alcooliques, violents, débauchés, révoltés ou abrutis, loques humaines qui ont oublié Dieu et, pour beaucoup préparent la Révolution communiste vont être transformés, rédimés, convertis par la douce générosité du jeune curé, sa bienveillance, son ouverture aux autres, son sourire calme, sa Foi profonde. C’est donc extrêmement engagé, pour ne pas dire militant, dans un sens bien différent de la plus grande quantité des films de gauche qui ont fait florès sur les écrans. Voilà qui n’est ni une qualité, ni un défaut, qui indique seulement où l’on met le doigt.
Le film a été réalisé en 1941 et l’on y voit donc la sainte vertu, le moralisme profond de la Révolution nationale. La date de l’action n’est pas mentionnée mais on peut la placer au début des années 30, puisque le gamin révolté qui vole sa mère, l’insulte et la quitte, Marcel surnommé Gosse de pou (François Rodon), âgé de 16 ans a perdu son père à Verdun, en 1917. Cela colle bien avec le contexte, d’ailleurs.
En 1927, un Jésuite, Pierre Lhaude, a publié des reportages sur la situation désespérante de la Zone, entassement de bidonvilles constitué à la suite de l’abandon, en 1871, puis de la démolition, à partir de 1919, des fortifications censées protéger Paris des invasions. Louis-Ferdinand Céline la décrit ainsi : cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie.
Lhaude écrit un ouvrage vigoureux, une sorte d’appel à l’aide, intitulé Le Christ dans la banlieue, qui relate la détresse matérielle et spirituelle des populations abandonnées et lance un appel à la rechristianisation. En 1931, le cardinal Jean Verdier, archevêque de Paris depuis 1929, crée en 1931 l’Œuvre des Chantiers du Cardinal (qui existe toujours) qui en dix ans construit à Paris et en banlieue 110 églises ou chapelles.
Le prêtre qui arrive, fort de sa Foi, dans la puanteur et la boue des baraques est mal reçu. Le cafetier Julot (René Sarvil) et le jeune révolté Bibi (Georges Rollin) attisent les ardeurs révolutionnaires de la population ; poivrots, femmes battues, chômeurs professionnels, chiffonniers, marchands de peaux de lapins, chanteurs des rues… tout un pauvre monde souffrant confiné dans le ressentiment et la haine. Ou la violente amertume des déclassés comme le Père Didier (Édouard Delmont), devenu philosophe cynique mais jadis poète… Peu de lueurs d’espoir dans ces bas-fonds : la mère délaissée de Bibi (Mauricette Mercereau) et Madeleine (Odette Joyeux, trop peu présente à l’écran) aimée par Bibi, mais qui ne rêve que de sortir (honnêtement !) de l’enfer.
Le curé de la paroisse à créer est reçu par des insultes et des pierres. Ce n’est pas ça qui va l’arrêter. Patiemment, sereinement, sans jamais se décourager à la fois il édifie sa modeste église et il répand le bien autour de lui ; on se moque de lui ? On exploite sa générosité ? Il s’en fiche : il sème.
Et comme de juste, à la fin du film, il récolte. Bibi – qui a retrouvé le prénom de son enfance, François – vient d’être baptisé et songe à la prêtrise. Quant à Julot le bistro, il commence à se poser des questions…
Réalisé avec un vrai souci de réalisme et tourné, sans doute avec des figurants qui eux-mêmes étaient zonards, malgré son discours irénique – mais sans doute aussi grâce à lui -, Notre-Dame de la Mouise ne manque vraiment pas d’intérêt. Évidemment, si on veut aller plus loin, beaucoup plus loin et beaucoup mieux dans le même genre, il y a Miracle à Milan du grand Vittorio De Sica, référence majeure…