Drôle d’endroit pour une rencontre.
Je ne sais si on se souvient de L’État sauvage, roman de Georges Conchon qui a obtenu le Prix Goncourt en 1964 et a obtenu alors un très grand succès. Le roman passait alors pour une compilation progressiste des mythes iréniques et rayonnants de la décolonisation. C’était l’époque où l’on pensait que les pays qu’on avait jadis nommé sous-développés et qu’on appelait désormais en voie de développement (une voie que l’on attend toujours) allaient grâce à leur dynamisme et leur liberté prétendument recouvrée entrer, flamberge au vent, dans la grande aventure de l’Histoire.
Francis Girod n’est pas un cinéaste médiocre ; il a du savoir-faire, l’a montré (Le trio infernal) et le montrera (La banquière) ou, dans la même veine politique, Le bon plaisir. Mais assez drôlement, du livre engagé anticolonialiste de Conchon, il propose une drôle de vision qui, à l’époque, reçut les foudres de la presse et de la critique progressistes (pléonasme, n’est-ce pas ?). Cela malgré une interprétation impeccable : Marie-Christine Barrault, Claude Brasseur, Michel Piccoli, Jacques Dutronc, Doura Mane.
Aucun de tous ceux-là n’est suspecté de la moindre complaisance avec le nauséabond colonialisme. Et pourtant certaines scènes ont de quoi étonner. Notamment un Conseil des ministres qui, commençant sérieusement, s’achève en danse tribale, au rythme frénétique des crayons et des règles placés sur les maroquins. En 1978, on pouvait montrer avec une certaine condescendance ceux qu’on appelait encore les Rois nègres, alors même que l’on avait, vingt ans auparavant, abandonné en se carapatant, de jeunes États incapables de se tenir debout. C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’aujourd’hui encore ils ne marchent guère droit.
Tous les personnages du film sont assez minables : idéalisme, veulerie ou stupidité. Ce qui est finalement assez facile : on daube sur la corruption des nouveaux dirigeants, liés par leurs attaches tribales ; on fait mine de croire que tous les Européens qui ont vécu et travaillé en Afrique sont des exploiteurs avides, alcooliques et obsédés sexuels.
Tout ceci pourrait paraître marquer, à la fois pour Conchon et Girod une certaine incompatibilité des races et des cultures dans un mépris généralisé pour le genre humain. L’intrigue, à base de tromperies, de coucheries, de trahisons, de veuleries, va tout à fait dans ce sens.
Cela dit, je bâtis mon avis sur un souvenir ; le film n’a pas été diffusé depuis longtemps à la télévision ; faudra que je m’offre un DVD…