Messieurs les Producteurs le savent bien : lorsqu’un film rencontre un succès tonitruant et mérité, il est toujours tentant d’essayer d’en tirer une suite afin de profiter du bel élan des spectateurs. Voilà qui donne quelquefois d’interminables séquelles, notamment dans le genre de l’épouvante, les scénaristes épuisant tant bien que mal (presque toujours plus mal que bien) tous les replis, les fentes, les détails, les potentiels de l’œuvre originelle. La chose me semble plus rare dans le domaine du film de montage, de l’anthologie, car, en principe tout ce qu’il y a de meilleur figure déjà dans le premier volume. Et les deuxième, troisième sont souvent bâtis avec de bien médiocres fonds de tiroir.
Et pourtant voilà qu’il se trouve qu’existent des tiroirs si profonds qu’on ne les vide pas facilement comme ça et même qu’on n’en épuise pas du premier coup la substance et l’intérêt. Confiée à Gene Kelly l’exploration des trésors de la Metro Goldwyn Mayer demeure sur le même niveau de qualité que le premier opus de la série. Avec même un peu davantage de variété : il y a des pauses dans le défilé des impeccables scènes chorégraphiques d’Eleanor Powell, de Fred Astaire, de Gene Kelly, de Donald O’Connor, de Cyd Charisse, de Leslie Caron. On y découvre quelques incongruités bienvenues où de grandes stars se laissent aller à – ou plutôt prennent le risque de – chanter et danser : Greta Garbo, Robert Taylor, Clark Gable (mais peut-être celui-ci n’est que dans le premier film : je ne me le rappelle plus).
Autres incongruités, des sortes de parenthèses cocasses : un florilège de répliques cinglantes et drôles puisées ici et là ; une mise en valeur des grands mélodistes, Oscar Hammerstein, Richard Rodgers, Jérôme Kern, aussi Cole Porter, Irving Berlin, George Gershwin ; une charmante séquence qui met en scène les deux amants les plus flamboyants de l’époque, Katharine Hepburn et Spencer Tracy ; une autre avec les Marx Brothers ; la variété des talents de notre Maurice Chevalier ; et, avec Georges Guétary, pour faire bonne mesure, un long moment émerveillé sur Paris, alors plus belle ville du monde avant qu’elle ne tombe dans les griffes écolo-socialistes…
Ça ne va pas toujours sans petites fautes de goût : que viennent faire au milieu des paillettes hollywoodiennes les brames rauques de Johnny Weissmuller, dans Tarzan, l’homme singe ? On préfère largement le dialogue nonsensique entre Bud Abbott et Lou Costello ! On découvre ou redécouvre combien Grace Kelly avait du charme et de l’éclat avant d’être happée par sa Principauté d’opérette ; on s’amuse de voir le peu notoire Bobby Van, dans Le joyeux prisonnier traverser toute une bourgade charmante en sautillant comme un kangourou ; on admire la qualité du filmage de la longue séquence où Esther Williams, dans Désir d’amour, de Charles Walters paraît maîtriser comme personne le ski nautique, dans un enchantement d’acrobaties réglées au millimètre…
Pas davantage que dans le premier volume de la série on ne s’ennuie une seconde : pis, on en redemande. Alors voila qu’un troisième film a été réalisé, vingt ans plus tard : That’s Entertainment! III ; je crains qu’à force de vider le tiroir on n’en atteigne les limites ; en même temps, je me dis qu’on aura bien retrouvé quelques pépites moins bien mises en valeur, voire ignorées jusque là.
La suite à mon prochain numéro.