Bien que ses livres aient connu un immense succès public, on ne parle plus guère de l’oeuvre abondante de Roger Peyrefitte. Littérairement parlant, c’est assez dommage parce que Les amitiés particulières (dont Jean Delannoy tira un film qui n’est pas mauvais), Les Ambassades, Les clés de Saint Pierre, ça valait largement la peine. Tout autant que les récits mémorialistes (Propos secrets), pleins d’ironie, de verve, de culture. Et de racontars. On apprenait des tas de choses qui n’étaient très dissimulées que pour les braves gens qui n’étaient pas admis dans la bonne société.
Ce qui était assez agaçant chez Peyrefitte, c’est qu’il ramenait absolument tout à sa propre pédérastie ; j’ai bien écrit pédérastie et non homosexualité : il n’aimait que les tendrons très tendres et disait, avec assez d’esprit d’ailleurs, Je n’aime que les agneaux, pas les moutons. Il vous apprenait donc que tout le monde, absolument tout le monde avait à un moment donné préféré son propre sexe à l’autre : les généraux, les grands savants, les poètes, les dictateurs, même les Papes. Un peu comme les plus terribles Nazis vous prouvaient en deux temps trois mouvements les origines juives de n’importe qui.
Eh bien, c’est à peu près la même chose, me semble-t-il, chez le cinéaste Alain Guiraudie. Son film le plus notoire, L’inconnu du lac décrit avec une grande complaisance l’atmosphère d’une plage homosexuelle et les ébats consécutifs. Pour ce que j’ai lu de sa filmographie sur Wikipédia, je remarque que le thème n’est que rarement absent de ses métrages, courts ou longs. Et qu’il parvient à le glisser dans un moyen, Ce vieux rêve qui bouge dont je me propose de vous entretenir.
Il faut reconnaître au réalisateur une grande qualité de filmage, un sens de l’espace et de la lumière qui ne sont pas si fréquents. Tout se passe dans le cadre sinistre d’une immense usine qui fabriquait on ne sait quoi et qui va fermer à la fin de la semaine. Sous la conduite lasse du directeur, Daunand (Jean-Marie Combelles) sont demeurés sur place une petite dizaine d’ouvriers qui trompent leur ennui en buvant des coups et en arpentant les immenses hangars vides. Ou presque vides, puisqu’un ouvrier spécialisé, Jacques (Pierre Louis-Calixte) a été appelé pour démonter une puissante machine et en récupérer les pièces.
Tout cela se passe dans le cadre pelé et désertique de la friche mais est illuminé par le merveilleux soleil du Midi, bien plus beau encore quand il est filmé lorsque le jour baisse et que les hommes entreprennent de revenir chez eux ; c’est sans doute un peu répétitif mais, ma foi, cette lumière dorée est si belle sur les voûtes de la cathédrale ouvrière qu’on si laisse facilement prendre.
Les ouvriers parlent de tout et de rien, du chômage qu’il va bien falloir qu’ils affrontent, de l’emploi qu’ils feront de leur prime de licenciement, des vacances qui arrivent et qui ne seront évidemment pas sans soucis. Ce sont des types plutôt variés, de tous âges, de toutes opinions. Parmi eux se détache une grande gueule, Louis (Jean Ségani), qui parle un peu plus fort lors des pauses mais a été de ceux qui n’ont pas fait grève, lors du dernier conflit social parce que c’est son affaire ; on n’en saura pas davantage.
Tout ce qui se repose sur cette vieille lamentable faillite industrielle – ces usines jadis prospères qui ne subsistent qu’à l’état de carcasses vides, de mastodontes abandonnés – est intéressant, bien fichu. Il n’y a même plus de révolte chez les laissés pour compte ; on se moque seulement un peu du type qui va, avec sa prime, acheter une grosse bagnole 406.
Mais voilà que le film se gâte et voilà qu’on rejoint notre ami Roger Peyrefitte. Comme on a demandé au bel et sombre et taciturne Jacques s’il vit seul, il répond assez clairement que son goût ne le dirige pas vers les femmes. La révélation va troubler le directeur Daunand qui va commencer à tourner de plus en plus souvent autour du mécanicien jusque, dans une scène assez minable l’un et l’autre prennent conscience de leur désir. Et voilà que ça patauge de plus en plus puisque, finalement c’est Jacques qui va directement faire des propositions à Daunand qui les refuse parce qu’il n’est pas comme ça. Et le comble du ridicule, c’est le vieux Louis, qui a invité à dîner chez lui Jacques, promis à une nouvelle mission, lui propose carrément de le consoler… sans y parvenir car il ne plaît pas au jeune homme.
Que Guiraudie veuille mettre en scène sa propre homosexualité n’est pas une affaire : ce qui l’est, et gâche son film, c’est qu’il en fasse la règle commune. Comme Peyrefitte, vous disait-on.