La barricade du Point du Jour

Le sang veut du sang.

Le film commence par un joli matin de printemps, le lundi 22 mai 1871. Il s’achève, au soir du lendemain, mardi 23 mai, dans le sang et l’horreur. La butte Montmartre est tombée aux mains des soldats versaillais presque sans assaut, tant la Commune est mal organisée. Mais les batailles dans Paris vont se poursuivre pendant plusieurs jours encore, dans ce qu’on a appelé la semaine sanglante. Les derniers combats s’achèveront du côté de Belleville et de la rue du Faubourg du Temple le dimanche 28 mai. On ne sait toujours pas combien de morts ont coûté l’insurrection et sa répression : des estimations très militantes du début du 20ème siècle sont montées jusqu’à 30.000 morts ; aujourd’hui on estime plutôt à 10.000 le nombre des tués du côté communard, à 1000 Versaillais et à plus de 100 otages (dont l’archevêque Mgr Darbois) de l’autre. Puis aussi, dans la folie du désespoir, l’incendie volontaire de plusieurs monuments, les Tuileries, l’Hôtel de Ville, le Palais de justice…

Récapitulons un peu les événements, brièvement. 4 septembre 1870 : après Sedan, proclamation de la République et déchéance de Napoléon III. Du 20 septembre 1870 au 28 janvier 1871 (date de la capitulation), c’est le siège qui affame Paris. L’Assemblée nationale constituante est élue le 8 février alors que le 18 janvier, dans la Galerie des glaces, humiliation intense, l’Empire allemand a été proclamé. Le 18 mars, des Parisiens qui n’admettent pas les résultats des élections (la Chambre élue est très majoritairement monarchiste) et/ou qui veulent continuer la lutte, se soulèvent. C’est la Commune, un des épisodes les plus absurdes et les plus atroces de notre longue histoire, qui en compte tellement.

Peut-on regarder le bon film de René Richon sans savoir tout cela ? Sans doute, mais on est bien plus éclairé en le sachant. On se félicitera aussi que le réalisateur – dont les sympathies penchent tout de même clairement du côté des insurgés – ait limité le plus possible les pathos révolutionnaires, présentant, simplement, une petite rue montmartroise au moment où l’Histoire va souffler dessus et terriblement la détruire.

Dans cette rue qui n’est pas nommée, il y a un échantillonnage très bariolé de ces Montmartrois qui ne sont Parisiens, au fait, que depuis dix ans, avec l’extension de 12 à 20 arrondissements de la Capitale. Ouvriers, blanchisseuses, petites commerçantes (Mme Lapoule/Paulette Dubost, Mme Bouroche/Ginette Leclerc), grouillots, gamins, artisans, mais aussi un imprimeur-journaliste exalté Achille Barobeau (Philippe Hottier), une prostituée, Flora (Éliane Boeri), qui garde la maison de passe dont tous les pensionnaires se sont enfuies, une bistrote, Mme Hortense (Béatrice Moulin), une pauvre femme, Henriette (Monique Chaumette), dont le mari et le gendre ont été tués pendant la guerre. Mais aussi un peintre impressionniste, Edgar (Alain Salomon) et un petit rentier, Bérat (Henri Crémieux) qui est plutôt partisan de l’ordre établi, bien qu’il se dispute là-dessus avec son ami Martégay (Edmond Ardisson).

Ce n’est pas si facile de mettre en place tout ce caravansérail de braves gens, sans les caricaturer, les ridiculiser, les mépriser. Tout le monde a ses raisons comme dit notre vieil ami Jean Renoir et on comprend bien que selon les orientations, selon les connaissances, selon les ressources, selon les caractères tout le monde ne soit pas impliqué de même façon à la grande affaire qui va être décidée : la construction d’une barricade censée bloquer les Versaillais qui sont entrés dans Paris et progressent à toute vitesse, appuyés, d’ailleurs par la majeure partie de la population qui en a marre des billevesées et coquecigrues anarchisantes des Communards.

On se demande pourquoi le réalisateur n’a pu monter d’autres films tant il compose habilement son patchwork d’histoires sentimentales, de petites histoires de quartier, d’exaltations révolutionnaires, de trognes sympathiques et bienvenues (Raymond Bussières, toujours parfait, Claude Brosset jouant le fruste comme on l’aime). Il n’y a qu’une fausse note, tout à fait superflue à mon goût : au moment où, la barricade constituée, les insurgés attendent l’assaut, une chanson idiote, de type comédie musicale intervient. En revanche, il y a une bien belle séquence, émouvante et bienvenue, même si elle est totalement fausse : au milieu des Montmartrois s’est trouvé Eugène Pottier (Philippe Noiret) ; celui-ci n’écrira son immortelle Internationale qu’au mois de juin suivant, alors que, après la chute de la Commune, il se terrait on ne sait où. Au prix d’un petit accroc avec la véracité, Richon le montre récitant, devant les futures victimes, son poème (qui ne sera mis en musique que que plus tard, en 1888 par Pierre Degeyter). Très belle séquence avec la voix magnifique de Noiret.

Film maladroit, sans doute, très engagé, mais intelligemment ouvert.

 

 

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