Irène Nemirowsky portée au firmament
Je n’ai pas lu le roman d’Irène Nemirowsky, dont on chante merveilles, et mon programme de lecture des années à venir ne prévoit pas vraiment que je la découvre, mais, admirateur absolu de Julien Duvivier, je ne pouvais évidemment pas rater son premier film parlant, édité, sans grand luxe par Les films du collectionneur : l’image est souvent floue, le son connaît des alternances un peu gênantes, et aucun supplément ne vient resituer l’œuvre dans son contexte….
Il aurait été intéressant, par exemple, qu’un spécialiste vienne nous expliquer l’apparent antisémitisme de nombre des séquences, conforme aux clichés rebattus sur la prétendue rapacité du peuple juif, dans son rapport avec un écrivain elle-même juive et future victime du nazisme ; car David Golder (magnifique Harry Baur) s’est enrichi de manière plus que douteuse, spécule et roule son monde, est entouré d’amis caricaturaux d’avarice (son commensal qui ne marche que sur la pointe des pieds car ainsi il économise les semelles) est marié à une harpie détestable dont, dans une scène d’une grande violence, il dénonce la provenance d’un ghetto sordide, a une fille – qui n’est pas de lui – poisseuse de cupidité, superficielle, ingrate, est entouré d’un régiment de parasites, gigolos, vieux débauchés, joueurs, tapeurs, arsouilles en tout genre…
Ce monde frelaté, c’est précisément celui que dénoncent les feuilles et organes antisémites, et si Golder apparaît, à la fin, rédimé, c’est parce que la maladie, la conscience qu’il a du mépris intéressé que tous lui portent lui forgent une figure à la Goriot…
Mais pas plus que le héros de Balzac, Golder n’est un type intéressant… Il meurt sur un rafiot qui le ramène de Russie – d’Union soviétique – où, au mépris de sa santé, il est allé négocier sa dernière grosse affaire, afin de laisser une grande fortune à sa minable fille, Joyce (Jackie Monnier), sur qui, pourtant, il ne se fait aucune illusion… Victime d’une vie vouée à rouler les autres, il meurt, roulé lui aussi – mais au moins en est-il conscient – par la seule personne qu’il ait jamais, absurdement, aimé…
L’intrigue et le fond sont donc extrêmement intéressants ; la réalisation est encore bien balbutiante : passer du muet au parlant n’est pas chose si aisée : il y a encore des gros plans sans raison sur des visages surexpressifs, des surimpressions, des traces d’expressionnisme ; surtout, à l’exception d’Harry Baur, massif et génial, porteur de toute la souffrance et de l’amertume du monde, les autres acteurs sont médiocres ; il est à parier que ces comédiens du muet, déformés par des années d’un style particulier n’ont pas su s’adapter aux jeux très particuliers du parlant : une rapide consultation d’Imdb m’a d’ailleurs confirmé que leurs carrières se sont vite interrompues…
Beau film, d’une grande violence dans la cruauté, dans la sauvagerie, même, désespérant de la solitude d’un homme… et ce n’est pas la très belle séquence finale où les émigrants juifs entonnent de magnifiques chants yiddish, alors que Golder s’éteint qui m’ôtera ce malaise…