Jean-Pierre Grumbach, qui choisit de s’appeler Jean-Pierre Melville dans la Résistance, en hommage à l’auteur de Moby Dick, après avoir rejoint la France libre en 1942, a réalisé trois films sur cette époque dramatique de notre longue histoire. D’abord, en 1947, Le silence de la mer, dont je pense beaucoup de mal, histoire guindée d’un amour impossible et ennuyeux. Et, bien plus tard, L’armée des ombres, la geste épique de l‘Armée secrète, d’une beauté grave d’acier bleui. Et, entre les deux, en 1961, Léon Morin, prêtre, qui se déroule dans une petite ville des Alpes, où les horreurs du conflit sont un peu (un tout petit peu) atténuées.
Mais on pourrait presque dire que le tableau de la France occupée n’est que le cadre du propos du cinéaste et qu’il est à peine nécessaire à ses vrais sujets.
Parce que, pour obtenir les fonds nécessaires au tournage, Melville s’était engagé auprès des producteurs à respecter scrupuleusement le récit à résonance autobiographique de Béatrix Beck, qui avait obtenu le Prix Goncourt en 1952, récit qui relatait un épisode de la vie d’une jeune veuve. À mon sens, l’adaptation fidèle d’un roman n’est que rarement possible et encore moins rarement souhaitable au cinéma : affaire de différence dans les modes et dans le rythme d’expression ; les meilleurs films issus d’œuvres littéraires sont souvent des trahisons intelligentes.
À vouloir trop se conformer à l’écrit, le cinéaste s’éparpille. Un critique, France Roche écrivait à la sortie de Léon Morin, prêtre : Le film n’est pas construit. Il se déroule chapitre par chapitre. Certains sont remarquables, d’autres souvent plus creux. C’est exactement mon point de vue. Des vignettes qui ne s’imposaient pas (les mésaventures du vieux professeur juif (Marco Béhar), l’amitié entre la petite fille (Patricia Gozzi) et le soldat allemand (Gérard Buhr), par exemple) alourdissent, ralentissent, affadissent l’orientation du film qui devrait être concentrée sur deux sujets.
D’abord la frustration sentimentale et sensuelle de femmes privées de mâles à la suite des circonstances. C’est une situation assez classique ; c’est celle du Diable au corps, notamment. Ces femmes affrontent la frustration en abdiquant leur dignité (la fille qui a cinq amants, dans la Milice, la Résistance, l’armée allemande…) ou se subliment en se soumettant à l’influence d’un homme d’autant plus séduisant qu’il est inaccessible. L’afflux des pénitentes dans la chambre de l’abbé Morin montre, d’ailleurs, les deux orientations.