Cagliostro

Interdit aux enfants.

Que l’on se rassure, le titre de ce message, Interdit aux enfants, ne signifie pas qu’il faut cacher à nos chères têtes blondes un film de 1949 parce qu’il présente des séquences d’insoutenable cruauté ou des images pornographiques. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est bien plus grave, mais je ne suis pas très loin de le penser. Parce que torturer ainsi l’Histoire de France, fût-elle inspirée d’Alexandre Dumas (qui n’est vraiment pas, pourtant, un modèle de rigueur en la matière) n’est tout de même pas très convenable. Et montre bien comment les gens du Nouveau Monde ignorent la réalité historique mais aussi, ce qui est plus ennuyeux, l’esprit de cette réalité.

Tout ça n’aurait pas beaucoup d’importance dans le jugement qu’on peut porter sur le film s’il se déroulait dans une sorte de principauté fictive, comme en ont inventé nombre d’écrivains et de réalisateurs. Après tout l’écrivain, le cinéaste, comme le peintre, le sculpteur, le musicien, l’architecte ont tous les droits et, s’il leur plaît d’imaginer un monde sans rapport avec celui que nous connaissons, c’est bien leur affaire. La liberté du créateur est à mes yeux sans limites. Mais en revanche, quand on situe son propos dans un instant historique bien connu, bien exploré, bien documenté, on n’a pas beaucoup de droits de raconter tant de carabistouilles. Sauf, évidemment, lorsqu’on est Étasunien, capable d’imaginer tout et n’importe quoi.

Cagliostro n’existe, n’est pas oublié, n’est pas enfoui dans le cimetière des films insignifiants qu’Hollywood a tourné à tire-larigot que grâce à la présence, en premier plan, d’Orson Welles. Et aussi – soyons juste, tant que nous pouvons l’être – à l’image enchantée et superbe de Anchise Brizzi (plus tard employé par Welles dans son magnifique Othello).  Sans cela, qui n’est pas mal du tout au demeurant, on serait accablé par la nouillerie profonde du scénario, par le rythme pépère de la réalisation de Gregory Ratoff, par l’insignifiance de la musique, la fausseté de la représentation de la Cour, de la justice, de l’état de l’opinion. Et par le brouillage complet des événements qui surviennent à l’époque.

On mélange tout d’ailleurs : la mort de Louis XV, en 1774, et L’affaire du collier, qui survient dix ans plus tard en les situant à la même époque ; l’animosité – réelle – entre Marie-Antoinette et la Comtesse du Barry, l’idée idiote que la Du Barry, appréciée pour sa beauté, sa culture, son charme, aurait souhaité devenir Reine de France à la mort de Marie Leszczynska en 1768… Bref, c’est notre Histoire vue par des bas de plafond. Qui vont jusqu’à imaginer qu’un vicomte de Montaigne (Stephen Bekassy) pût, aux temps de Choiseul et des Maupéou, gouverner le royaume de France.

Bien. Tout ça m’agace, on l’aura remarqué. Ça n’empêche pas de se pencher sur la qualité intrinsèque du film, irrigué par l’interprétation géniale d’Orson Welles qui a, de plus, apporté sa science de la réalisation à nombre des séquences ; et sûrement les plus belles : par exemple le duel final, sur les toits de l’église Sant’Ivo alla sapienza de Rome, mais tant d’autres où l’on voit bien que le génie du filmage a pris le pas sur le réalisateur censé le guider.

Il ne faut donc pas, en bon cartésien, lire le film comme une adaptation fidèle (combien ne l’est-elle pas !) d’un des romans du cycle révolutionnaire d’Alexandre Dumas : Joseph Balsamo, Le collier de la Reine, Ange Pitou, La comtesse de Charny. Il faut regarder cela comme une fantasmagorie qui n’a aucun rapport avec les dernières années de notre Ancien Régime. Apprécier la présence à l’écran d’Akim Tamiroff, meilleur ami de Cagliostro, la beauté de Nancy Guild dans le double rôle de Marie-Antoinette et de son sosie, la charge sensuelle de Zoraida (Valentina Cortese), la maîtresse habituelle de Cagliostro. Et surtout l’image, la beauté de l’image.

Ce n’est pas vraiment suffisant, pourtant. Je suppose qu’Orson Welles n’avait vraiment rien à faire de la cohérence et de la rectitude du scénario et qu’il ne se préoccupait que de placer sa patte sur le film. Il n’est pas douteux qu’il y réussit. Mais ça laisse pourtant un curieux sentiment de malaise.

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