Première fois que je regardais un film de Mauro Bolognini, cinéaste dont j’avais à peine entendu parler mais qui paraît avoir eu, jadis, une certaine notoriété et qui me semble être intéressant sans qu’il atteigne les sommets des grands réalisateurs d’Italie Rossellini, De Sica, Risi, Monicelli, Comencini, Ce n’est pas mal du tout, une belle ouvrage bien interprétée, bien mise en musique, assez brève pour ne pas trop se distendre dans la banalité. Scénario un peu simpliste, un peu manichéen, surtout un peu trop prévisible. Un film pour grandes consciences heurtées (ou faisant mine de l’être) par le choc abyssal entre les beaux idéaux et la vilaine réalité.
Mais c’est tout de même un peu trop sérieusement présenté, sans la distance et sans l’ironie que les grands metteurs en scène que j’ai cités plus haut n’auraient pas manqué de faire advenir. La corruption, dès son titre montre son roublard visage : on comprend d’emblée que la pureté un peu naïve et guère ancrée dans une véritable vocation du jeune Stefano (Jacques Perrin) va sacrément être attaquée sur tous les fronts possibles. Et ceci jusqu’à ce que son idéalisme soit écrasé et qu’il finisse, dépité par la méchanceté intrinsèque du monde à sangloter tout seul dans le cabriolet élégant d’Adriana (Rosanna Schiaffino). Adriana maîtresse de Leonardo (Alain Cuny), père de Stéfano et grand éditeur richissime et difficile à supporter, dur, intransigeant, brutal, sans indulgence ni douceur, Adriana que l’on va fourrer dans les pattes du pubescent Stefano pour lui donner une tentation de belle mesure.
Stefano, meurtri par la sécheresse de cœur, l’ambition forcenée, la cruauté presque sadique de son père Léo, effaré par la descente aux enfers de sa mère (Isa Miranda) qui porte sa neurasthénie et son mal de vivre dans une clinique chic où elle enchaîne cure sur cure de sommeil – mais surtout porte la médiocrité de son mariage et de sa propre vie -, Stefano croit ressentir une vocation religieuse. Bolognini semble incliner le spectateur vers une sorte de désir de fuite, d’ensevelissement de Stefano, qui ne paraît pas avoir de véritable spiritualité et a surtout envie de se cacher dans la vie régulière (celle qui est régie par la règle, en l’espèce, semble-t-il, celle des Frères prêcheurs, les Dominicains).
Cet idéalisme plutôt niais ne convient pas du tout au dur homme d’affaires, qui a songé pour son fils à un destin brillant, plus intense encore que celui qui l’a porté au sommet de l’édition milanaise. Leonardo, chef d’entreprise sans états d’âme, ne voit en son fils que son clone plus encore développé. Beaucoup de pères sont ainsi qui ne voient en leurs rejetons qu’eux-mêmes en mieux, plus forts, plus prospères, plus éclatants. La vocation annoncée de Stéfano fait chuter les espérances. Et suscite une rage et une manipulation à la fois désolantes et évidentes : la belle fille Adriana/Schiaffino, qui vit de tout et de rien, un peu modèle de photographies légères, un peu escort girl, un peu… (on n’ose pas trop en dire davantage : on n’est jamais qu’en 1963).
Ben voilà, tout est dans la norme. Le chaste Stefano, largement provoqué, séduit, émerveillé par la superbe Adriana, fait tout ce qu’il peut pour résister, mais cède à la fatalité des corps ; il n’y a rien là qui soit épouvantable : le futur religieux est dépucelé : quelle affaire ! Mais l’agaçant est que tous ces gens-là sont d’une extrême fragilité et que tout cela finira pas pas grand chose, sur une sorte de crasseuse petite tristesse sans clarté et sans espérance. Superbe scène finale, musicale, mécanique, accablante, au fait.
Cela étant, le film est plutôt agréable, sans déchet. Simplement trop évident, trop prévisible pour être totalement convaincant.