Un peu moins d’un quart d’heure, une mise en scène minimale pour tenter de montrer comment Alain Cavalier s’est attelé à l’écriture de son immense chef-d’oeuvre, Thérèse, évidemment, ce film qui met en scène la Grâce. La Grâce, tout simplement ; peu de rapport avec l’allure, la beauté, la délicatesse, l’élégance. Beaucoup plus fortement ce qui dispose certains d’entre nous à viser plus haut ou, si l’on veut viser davantage. Un truc que nous ne sommes pas vraiment à même de concevoir, moins encore de comprendre. Un chemin direct vers un Ailleurs. Un chemin qu’on peut ne pas suivre, ne pas avoir envie d’emprunter, ni même d’apercevoir, mais qui brûle certains.
Alain Cavalier n’est pas de ceux-là. Il souhaite simplement réaliser des films, c’est-à-dire incruster sur de la pellicule des forces, des puissances qu’il ressent, qui l’intriguent, l’agacent sans doute aussi un peu. Et pour faire cela, il faut se placer devant une page blanche. Blanche ? Livide, glaçante, devrait-on dire. On a beau tailler ses crayons pour retarder au maximum le moment où l’on va faire surgir le premier mot, la première phrase, essayer de biaiser, de ratiociner, de fuir, on est bien obligé, à un moment, de placer les premières syllabes, de dessiner les premiers cadres de la mise en scène, d’élaborer une première séquence.
Alors, bien sûr, Lettre d’Alain Cavalier n’est pas un film, en tout cas pas un film comme on l’entend d’ordinaire, avec un scénario, un dialogue, des acteurs, des images fortes, de la musique. C’est un brouillon, une esquisse, un carnet de travail, une manière de montrer, en un quart d’heure, comment un réalisateur entreprend de travailler.
De tout autre que d’Alain Cavalier l’exercice me paraîtrait vain, inutile, totalement narcissique. Et même pour un réalisateur pour qui j’ai autant d’estime et d’admiration je me demande fortement pourquoi il se croit autorisé à présenter à ceux qui le suivent des trucs qui ne sont pas différents de ceux des autres metteurs en scène et qui n’ont rien de bluffant, rien de vraiment intéressant. Mais bon ! Il y a une certaine fascination devant un cerveau qui travaille et tente de montrer à ceux qui regardent le mécanisme créateur.
C’est certain : bout de film réservé aux fondus (dont je suis).