Femmes au bord de la crise de nerfs

Hôtel du libre-échange.

Il y a du talent, dans le cinéma de Pedro Almodovar, mais c’est un talent superficiel, c’est-à-dire, à proprement parler, un talent qui reste à la surface des choses. De l’animation, certes, du rythme et des couleurs, des histoires un peu folles, assez originales pour amuser, sinon intéresser vraiment le spectateur, des actrices bien mises en valeur, des péripéties singulières, ambiguës, originales mais finalement assez vaines. On ne pénètre jamais au cœur des personnages, qui sont des marionnettes banales : elles sont posées dans un décor plutôt douteux, sans qu’on sache jamais ni pourquoi ni comment elles s’y sont mises et on les voit se débattre en agitant leurs petits bras au milieu du marécage où elles s’enfoncent.

Si on y réfléchit un peu, c’est exactement là une des recettes du vaudeville, cette sorte de construction comique (ou dramatique, ou les deux) qui a fait florès et envahi toutes les scènes du théâtre de boulevard en un siècle et demi. Caleçonnades, quiproquos, révélations ultimes et étonnantes, croisements improbables, rencontres inopinées, découvertes surprenantes et tout le tremblement. Celui que je croyais être tel est tout, sauf celui que je croyais. Recette, donc, recette éprouvée, au demeurant guère plus mauvaise qu’une autre puisque depuis qu’on écrit des pièces, tourne des films et veut ébaubir le spectateur, on se heurte, quoi qu’on puisse vouloir, à des situations bien toujours similaires.

Et donc Pepa (Carmen Maura), actrice de télévision et de doublage (qui n’est donc pas une grande vedette, mais qui vit assez confortablement) est la maîtresse, depuis un bon moment d’Ivan (Fernando Guillén, qui emplit à peu près les mêmes emplois mais qui, de surcroît, est un coureur de femmes invétéré. Ivan vient de délaisser Pepa qui est accablée par cet abandon, ne s’y résout pas et fait tout et tout pour avoir une dernière rencontre avec son amant.

Je ne crois pas qu’un vaudeville, une pièce de boulevard doive vraiment être simple ; mais il ne faut pas non plus la compliquer à l’excès, y faire surgir trop de personnages inutiles. Tous les auteurs, tous les directeurs de théâtre vous diront cela : moins il y aura sur scène d’acteurs, y compris secondaires, plus le budget sera contenu et la recette augmentera ; et c’est à peu près toujours cela qui est recherché : l’équilibre financier. Autrement dit, plus vous multipliez les pistes, plus vos recettes en pâtiront. C’est sans doute moins vrai au cinéma qu’au théâtre, mais ça se ressent néanmoins. Ce que je dis est bien regrettable puisque le grand cinéma des années de gloire s’est précisément bâti sur les seconds rôles, dont la présence faisait un clin d’œil aux salles du samedi soir. Mais encore faut-il, précisément, que les seconds rôles aient quelque intensité dramatique, apportent quelque chose au scénario.

Qui peut bien me dire ce qu’apporte la bizarre et très laide Rossy De Palma, censée être la fiancée du fils d’Ivan, qui dort pendant la moitié du film, du fait d’un somnifère avalé par mégarde ? De la même façon, à quoi bon compliquer une histoire dont la trame est assez simple en lui ajoutant des tentacules terroristes et des remugles policiers ? On a vraiment la sensation que le réalisateur ne sait pas comment faire pour achever son film.

Certes, Carmen Maura (qui, soit dit en passant, a de bien jolies jambes), est épatante dans un rôle de femme souvent perdue, complétement trompée mais toujours courageuse et les autres acteurs se mettent assez à son diapason. Mais quelle que soit la bonne volonté des personnages, tout cela sonne faux. J’invite d’ailleurs ceux qui ne font pas confiance à mes réticences à se reporter sur la page Wikipédia du film : il est rare qu’un brave type consacre tant de lignes à décrire, presque séquence par séquence, la vacuité trop pleine d’un scénario. Vacuité trop pleine avez-vous écrit, grondent les thuriféraires de Pedro Almodovar. Ne voyez-vous pas l’obscénité de votre oxymore ? Ben non. Je persiste et signe. À vouloir que chaque scène, chaque image, chaque situation apporte une donnée nouvelle, le réalisateur emmène le spectateur dans un tohu-bohu qui n’est pas léger, drôle, capricant, amusant mais banal, systématique, lourdingue, ennuyeux.

Tout est terriblement prévisible, toutes les scènes sont à faire et toutes les péripéties sont absolument prévisibles. Restent de belles images de beaux immeubles de Madrid, le charme de Carmen Maura, un certain rythme qui permet de suivre le tourbillon et – ultima ratio – une durée qui n’est pas trop longue.

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