Voilà un film militant, engagé, résolument agressif vis-à-vis des agissements des multinationales et du capitalisme monopoliste ; un film qui montre un citoyen, avocat associé d’un grand cabinet de conseil, mais n’est guère plus engagé que vous et moi. Un type plutôt tranquille et intégré, qui se dresse contre la fortune anonyme et vagabonde et parvient avec une belle forme d’héroïsme à claquer la figure d’une entreprise aussi importante que la chimique DuPont de Nemours. Un paladin à la fois médiocre et obstiné qui a pour lui une sacrée foi dans l’honnêteté et l’effroi devant le mépris que les grandes entreprises nourrissent pour les pauvres, les minables, les gens de peu. Donc pour beaucoup de monde.
Voilà Robert Bilott (Mark Ruffalo) issu d’un milieu modeste de Virginie occidentale, un des plus plouquissimes État des États-Unis, rural, confiné, charbonnier, sordide. Comme il y a de la place, la firme DuPont de Nemours y a installé une des usines puantes que les industries chimiques suscitent. Et l’a fait sans prendre la moindre précaution sur les conséquences de ses épanchements toxiques dans toute la nature, qui en a vu d’autres. Robert Bilott s’est, lui, sorti, de la cambrousse et il vient d’être promu associé d’un très important cabinet d’avocats de Cincinnati (Ohio). Sorti du rang, rescapé, en quelque sorte de son destin minable, il ne devrait y avoir rien en lui qui le pousse à devenir le porte-parole des pauvres gens qui végètent et triment dur à Parkersburg à côté des installations chimiques et des pollutions de la grande entreprise.
Qu’est-ce qui fait qu’il soit saisi de tendresse, d’amitié, de pitié, d’indignation parce que Wilbur Tennant (Bill Camp), un éleveur virginien qui connaît vaguement sa grand-mère, vient l’interpeller et lui demande de le défendre, parce qu’il voit son bétail peu à peu être frappé par toutes les saloperies que les bêtes ingèrent ? Des cancers, des tumeurs, des dents qui se noircissent et se déchaussent, des comportements singuliers. Des animaux, mais aussi des enfants un peu, beaucoup anormaux. Et cela étant, tous les habitants de la contrée sont assez satisfaits parce que la grande usine DuPont est le premier employeur du coin et paye bien ses employés.
Ce qui n’est pas mal dans Dark waters, c’est que le réalisateur ne présente pas Robert Bilott comme un paladin de parfaite pureté, animé par une vigoureuse volonté de venir à bout de la méchante multinationale. Ab initio, il souhaite avant tout faire son trou, s’imposer dans le prospère cabinet Taft, Stettinius & Hollister, d’ailleurs spécialisé dans le lobbying et la défense des grandes industries pollueuses. Ce n’est que peu à peu qu’il va se prendre à un jeu où il va perdre beaucoup de plumes.
Le récit est, paraît-il, issu d’une histoire vraie, relatée par un journaliste qui a dénoncé, avec grande conscience professionnelle et courage non seulement le mépris de la grande firme chimique pour l’environnement et la santé des habitants voisins de ses usines mais aussi la puissance presque absolue de ces firmes qui ont tellement pris pied dans l’État profond qu’elles en régulent le comportement, se voyant à peu près omnipotentes et soustraites aux règles, jusqu’à les dicter elles-mêmes.
Car au delà de l’aventure du sacré bretteur Bilott, qui finit par emporter, au bénéfice des malheureux intoxiqués, quelques millions de dollars, c’est-à-dire une paille pour une des plus grandes entreprises du monde, il y a une réflexion sur la nature et la réalité du pouvoir. Qui gouverne ? Qu’est-ce que c’est que le pouvoir ? Qui le détient ? Comment pourrait-on le reconquérir ? Si jamais, d’ailleurs, quelqu’un ait pris la main sur la fortune anonyme et vagabonde… C’est très bien exposé dans Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat et, en livre, dans L’horreur économique de Viviane Forrester. Et alors ? Ça n’empêche pas Davos de prospérer.
On peut toutefois regretter les cartons finaux anxiogènes qui nous apprennent que 99% des êtres vivants ont ingéré et portent en eux une particule de téflon, le poison qui fait l’objet du film. C’est un peu court : comme si l’on comparait les ouvriers qui ont travaillé dans des mines d’amiante et ceux qui sont passé quelques secondes dans une pièce isolée par ce matériau.