J’ai longuement boudé The artist pour une raison un peu puérile : il m’agaçait que l‘Oscar du meilleur film étranger ait été attribué, en 2012, à un film qui n’a absolument rien de français. À part le réalisateur, Michel Hazanavicius, une partie de l’équipe technique et les deux acteurs principaux, Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Vous me direz que ce n’est pas rien, vous aurez bien raison, mais je vous rétorquerai sans peine que c’est tellement américanisé que placer une étiquette française là-dessus est assez gonflé. Davantage même que lorsque Le cinquième élément de Luc Besson est attribué à notre pays, alors que c’est une daube cosmopolite.
The artist reprend les codes, les mirages, les merveilles, les beautés du grand cinéma étasunien. Je n’ai rien contre, loin de là. Mais il ne me viendrait pas à l’esprit de qualifier Chantons sous la pluie (qui concerne la même époque et quelques uns des mêmes soucis) de film d’une autre origine que celle du pays dont il est issu. Ce qui ne veut évidemment pas dire que ça n’a pas d’intérêt. L’imaginaire d’Hollywood, les stars adulées, les files de candidats à la figuration devant les studios, citadelles de la nouvelle Babylone, nous en avons vu tant et tant (et d’ailleurs, me contredisant un peu, j’admets même que dans Le Schpountz, il y a un peu de ça) !
Et pour cette sorte d’extraordinaire mutation, finalement assez vite réalisée, du passage du muet au parlant, de la déchéance évidente et dramatique d’anciennes vedettes qui n’ont pas voulu ou n’ont pas su s’adapter à l’évidence, il y a des films. Spontanément et évidemment m’est venu, sur le mode gracieux et enchanteur Chantons sous la pluie ; mais sur le mode grave, il y a le meilleur film de Billy Wilder, c’est-à-dire Boulevard du crépuscule avec Gloria Swanson, qui ne s’en est pas tellement bien sortie et Erich von Stroheimqui, de réalisateur délirant est devenu acteur fabuleux.
Malheureusement, l’histoire de The artist est d’une nullité consternante. Il n’est pas impossible qu’elle ait été voulue précisément ainsi ; on sait bien, dès la première rencontre entre la vedette adulée Georges Valentin (Jean Dujardin) et Peppy Miller (Bérénice Béjo) que ces deux-là se retrouveront dans les bras l’un de l’autre. Et d’ailleurs toutes les péripéties adventices qui vont se succéder n’auront pour but que de retarder au maximum la conclusion de l’évidence. Là encore on veut bien, ça fait partie du train-train du Septième Art, on n’est ni dupe, ni complice, mais on accepte de suivre le courant de la rivière : ça fait partie du jeu.
Mais à part la qualité du jeu des acteurs, les Français et les autres, à part l’idée assez folle, assez sympathique, amusante de filmer en Noir et Blanc et en Muet (mais un Muet sonore), qu’est-ce qui reste ? Une histoire amoureuse languissante, une façon d’essayer d’évoquer le cinéma des années enfuies. Un pastiche ? Pas même ! Un clin d’œil ? Encore faudrait-il que les générations qui ont vu le film aient quelque culture. Je ne vois pas trop comment chercher plus loin. Sinon regretter que Jean Dujardin et Bérénice Béjo, l’un et l’autre excellents, soient arrivés à un moment où le cinéma ne peut plus proposer à un très bon acteur et à une excellente actrice (celle-là disparue corps et biens des écrans) que des rôles bien médiocres et inférieurs à leurs qualités intrinsèques.
Il y a presque cent ans, le cinéma parlant tuait le cinéma muet. Aujourd’hui, entre les séries et les blockbusters de super-héros, le cinéma que nous aimons ne se porte pas très bien. Un art fragile, au demeurant.