Bigamie

Les désastres de l’amour.

Intéressant bref mélodrame qui a le bon esprit de laisser derrière lui un paysage dévasté, plein d’amertume et, si l’on marche dans le côté sentimental, triste à pleurer. Un beau gâchis qui ne fait que des malheureux, à la suite d’une succession de malchances, de hasards, de mauvaises dispositions des choses, alors qu’elles auraient pu à peu près trouver un équilibre. Un équilibre mal fichu sans doute, un équilibre sûrement plein d’ambiguïtés et d’insatisfactions ; mais tout équilibre est meilleur qu’un chaos anarchiste. Rien à voir avec le discours de gaudriole que peut appeler le sujet (Le bigame de Luciano Emmer avec Marcello Mastroianni en 1956).

Rien de graveleux donc dans ce Bigamie, moyen métrage de l’étrange Ida Lupino, qui fut actrice, productrice et réalisatrice et a donné là, quelques années avant l’efflorescence du cinéma féminin, des films bien originaux, malgré de petits moyens.

La trame de Bigamie est tout à fait grise, exactement comme il faut qu’elle soit. Un couple de la bonne classe moyenne étasunienne : Harry (Edmond O’Brien) et Ève Graham (Joan Fontaine) qui dirigent une affaire de négoce de congélateurs basée à San Francisco. Il vend les appareils, principalement à Los Angeles et au sud de la Californie, elle gère et développe l’affaire sur les plans administratif et financier. Ils s’aiment bien fort mais ils ont le malheur de n’avoir pas d’enfant : Ève est irrémédiablement stérile. Et vient de germer l’idée d’une adoption qui permettrait peut-être de recréer autour des époux la ferveur et la tendresse connue aux débuts de leur union. Mais le couple, pourtant solidement uni, ronronne. Comment survivre, si l’on n’a pas quelque chose à transmettre à quelqu’un ?

Et puis voilà que fortuitement Harry, lors d’un de ses voyages professionnels à Los Angeles, rencontre Phyllis Martin (Ida Lupinoherself). Ce n’est pas un coup de foudre, moins encore un survenue brutale de désir : c’est une sorte de lumière drôle, gaie, à la fois apaisante et exaltante. Cet homme et cette femme mettent d’ailleurs beaucoup de temps à concrétiser l’évidence de leur désir. Mais dès que cette concrétisation se forme, toc, ça y est, Phyllis est enceinte. Un peu perdu, Harry, afin de préserver l’avenir de l’enfant à naître, propose le mariage. Le piège s’est refermé sur lui.

D’autant que, la démarche d’adoption s’étant développée par ailleurs, l’administration effectue une enquête de moralité sur les adoptants et M. Jordan (Edmund Gwenn) est appelé à fouiller la vie intime de chacun. S’étant transporté à LA, il découvre que le parfait Harry, apprécié par tous (sa femme, ses collègues, ses amis, tout le monde effectivement) vit une existence parallèle à sa vie officielle et passe tous ses moments de libertés avec Phyllis.

Il est heureux avec elle. Il envisage, une fois l’adoption réalisée et Ève, sa femme légitime (c’est-à-dire la première en date) satisfaite ainsi, de divorcer à l’amiable puisque ainsi chacun aura son petit bout de bonheur.

Mais bon, la bigamie découverte est une infraction civile grave et le Tribunal condamne le pauvre homme, tout en comprenant qu’il n’a pas été pervers, ni brutal. Le Président du tribunal le dit ainsi : Vous m’inspirez à la fois mépris et pitié. Ce n’est tout de même pas très agréable à entendre.

Et ça nous fait trois vies gâchées.

Leave a Reply