Indigènes

La mort aux trousses.

En glissant le DVD d’Indigènes dans mon lecteur, je m’attendais à regarder un violent plaidoyer antifrançais. Ceci en raison de la réalisation et de la distribution très typées du film, mais surtout de l’agressif haineux air du temps. Une dénonciation farouche de la façon dont la mère-patrie a utilisé, exploité, méprisé les troupes indigènes qui se sont battues pour elle lors de la Deuxième guerre mondiale (et durant la Première aussi, d’ailleurs). Il y a de cela, bien sûr, de la rancœur, de l’aigreur, du ressentiment et les cartons qui concluent le film rappellent cruellement l’inopportune et même scandaleuse politique de cristallisation des pensions des anciens combattants africains mettent le doigt là où ça fait mal.

Cela étant, tout n’est pas à charge ; le film est même, d’un certain point de vue, d’une grande honnêteté. Et il ne fait que démontrer, en fait s’il en était besoin, que le grand moment d’enthousiasme intégrateur du 13 Mai 1958 était voué à l’échec et que seul, ou presque, le général de Gaulle ne s’y est pas trompé. On ne mélange pas l’huile et le vinaigre, quoiqu’on espère et quelque effort que l’on fasse.

Il faut tout d’abord faire un petit rappel historique : jusqu’à ce que l’abominable Révolution française déchaîne les peuples contre eux et la violence contre tout le monde, les gens qui se battent ne sont pas vous et moi : ce sont des troupes professionnelles, des engagés, recrutés grâce à des primes avantageuses (et des coups à boire généreusement offerts par le sergent : voir Fanfan la tulipe). Des engagés, mais aussi des mercenaires : des soldats recrutés sur les terres miséreuses d’Europe qui n’ont d’autre ressource que de louer leur force de combat ; et c’est ainsi que les Suisses, ou les Croates (cravate vient de ce morceau de tissu que les combattants se nouaient au cou) ont fièrement participé à beaucoup de nos victoires. Et on voit bien dans Indigènes que beaucoup des combattants sont entrés sous les drapeaux grâce à la prime d’engagement et à la solde.

Donc voilà que de braves Berbères, au cours de l’année 1943, sont happés par les besoins de l’Armée française. 1943, c’est le moment où les cartes changent de main et où l’on commence à voir que le Démon pourra être écrasé. On s’engage, on marche, on se bat avec un courage et une détermination exemplaires. Il y a ceux sur qui le projecteur est braqué : sous la férule du sergent Martinez (Bernard Blancan), un de ces Pieds-Noirs qui ont payé la plus lourde charge de morts de tous les combattants, il y a Yassir (Samy Naceri), un goumier marocain, le caporal Abdelkader (Sami Bouajila), Messaoud Souni (Roschdy Zem) mais aussi Saïd Otmani (Jamel Debbouze), bizarrement incorporé alors que, chacun le sait, il n’a plus de main droite ; mais enfin la production avait besoin de sa réputation et de son aura.

Ces très braves gens, très bons combattants vont faire toutes les campagnes, Italie, Provence, vallée du Rhône, Vosges, Alsace. On peut regretter, pour la véracité historique, que les voraces viols commis par les goumiers du Maréchal Juin en Italie ne soient pas trop évoqués (mieux vaut revoirl’admirable Ciociara de Vittorio De Sica à ce propos). Mais bon ! À la guerre comme à la guerre et on sait bien que les périphéries et les dommages collatéraux ne sont pas très sympathiques.

En tout cas, le film, néanmoins beaucoup trop long et souvent répétitif, ne manque pas d’intérêt ; on aimerait un peu plus de réflexion et un peu moins de jactance. Mais on a vu pire, on craint bien pire. C’est déjà ça.

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