Cheyenne Carron poursuit tranquillement son chemin, en rien surprise que le Centre national de la cinématographie lui refuse à chacune de ses réalisations le moindre kopeck d’aide ou d’avance. En rien surprise, mais un peu amère. Et pourtant jamais découragée. Après les tonitruantes déclarations de la gavée d’argent public Justine Triet au festival de Cannes, on a un peu parlé (sur CNews, en tout cas) de la situation de Cheyenne-Marie (puisque c’est ainsi qu’elle souhaite qu’on la nomme) et les chroniqueurs se sont effarés de cet ostracisme du Camp du Bien envers une réalisatrice qui commence pourtant d’avoir derrière elle un vrai chemin artistique intéressant.
Une toute petite lueur : au générique de fin de Je m’abandonne à toi est mentionnée une phrase magique : Avec la participation de Canal+. On a beau dire, l’arrivée de Vincent Bolloré dans les médias commence à ébranler un peu les choses.
Que dire du film ? D’abord qu’il fait partie d’une tétralogie militaire, essentiellement appuyée sur le monde fascinant de la Légion étrangère, monde à la fois formidablement ouvert à tous les pays, toutes les races, toutes les histoires personnelles et formidablement clos sur le culte de lui-même, la discipline rigoureuse, l’entraînement physique, la pratique exclusive de la langue française, le dévouement sans limite au pays qu’on s’est engagé à servir. Legio patria nostra est sa devise.
Après s’être penchée dans les trois premiers films (Jeunesse aux coeurs ardents, Le soleil reviendra, La beauté du monde) sur l’engagement, la situation des épouses et des veuves, le stress traumatique de ceux qui sont revenus du combat en ayant vécu des horreurs, la réalisatrice s’attache à la figure de Paul (Johnny Amaro), aumônier militaire, un Padre comme on l’appelle à la Légion.
Il n’y a pas, à proprement parler, de fil directeur dans le film. Les relations angoissées que le prêtre entretient avec sa mère (Anne Picard), dépressive, recluse, alcoolique qui n’a pas compris la vocation de son fils et qui finira par se suicider ne figurent qu’en arrière-plan, tout autant que la fatigue physique et les inquiétudes de Paul sur l’état de son cœur. À dire vrai, le film est un peu hétéroclite mais refléte sans doute assez bien les banalités de la vie, fussent-elles passées dans un cadre aussi original que celui de la Légion. Mais quoi, en fait ? Un type qui s’isole de ses camarades parce que, lors d’une opération, il a tué et vu de près mourir son ennemi, un autre qui, en permission, pour défendre une jeune femme importunée, a tué une racaille, un légionnaire qui veut être baptisé. Puis un drame qui survient : au Niger, un détachement du régiment a été attaqué : deux morts et un jeune caporal en très mauvais état… Banalités, vous dit-on…
Un peu hétéroclite : des scènes qui permettent de poser une réflexion : sur le baptême donné à un petit enfant (qui ne peut pas choisir, dit un crétin… comme si on pouvait choisir sa langue maternelle…) ; une réunion sur la concorde des religions du Livre (qui rassemble un protestante, un rabbin, une musulmane, l’aumônier) ; une discussion amicale entre Paul et Julien (Timothée Vaganay) devenu prêtre orthodoxe, dans le merveilleux cimetière de Sainte Geneviève des Bois…Un peu hétéroclite donc, mais profond : ces discussions peuvent se raccorder un peu difficilement au propos du film mais elles sont d’un beau niveau d’intelligence et d’expression…
Même si je comprends mal la dilection de Cheyenne Carron pour les soutanes et la forme traditionnelle du culte, j’admire en tout cas son courage et sa détermination à faire des films qui ne sont pas destinés aux soirées estivales de TF1…