Voilà un film assez bêta, de ceux qui, à l’orée du parlant et lorsque n’existait pas encore la télévision on produisait en kyrielles pour un public qui sortait, au théâtre, au music-hall, au cinéma, sortait beaucoup plus qu’aujourd’hui. Et n’était pas très exigeant sur la qualité du spectacle. L’est-il devenu désormais ? C’est une autre question. Toujours est-il que, pour Les amours de minuit, personne ne s’est décarcassé : production de série, d’ailleurs réalisée, sur le même scénario, en deux versions, allemande et française, comme il y en eut beaucoup à cette époque, par exemple Le chemin du paradis (1930) de Wilhelm Thiele (version allemande) et Max de Vaucorbeil (version française), Dactylo (1931) (les deux versions par Wilhelm Thiele) ou Le congrès s’amuse (1931) d’Erik Charell et Jean Boyer. Cette pratique peut être d’ailleurs tout à fait réussie… à condition que scénarios, acteurs et musique se mettent au diapason.
Ce n’est pas le cas pour Les amours de minuit : grande banalité du scénario, extraordinairement prévisible et aux rebondissements souvent grotesques, filmage paresseux, acteurs médiocres ou mal distribués. Écrivant ceci, je me repens parce que le personnage féminin, la pauvre fille Georgette, sous la dépendance du gangster Gaston Bouchard, est interprété par Danièle Parola, tout à fait ravissante et que j’avais déjà appréciée dans Sous les yeux d’Occident (1936) mais qui interrompit sa carrière l’année suivante, à 35 ans.
Sous les yeux d’Occident a d’ailleurs été réalisé par Marc Allégret, le moins bon des deux frères qui est présenté dans Les amours de minuit comme directeur artistique, le réalisateur du film étant Augusto Genina, qui signa, d’ailleurs, la version allemande du film avec Carl Froelich.
Une fois que j’ai écrit cela, qui tient de l’archéologie cinématographique, que dire du film ? Pas grand chose, à vrai dire. D’abord un peu de bien : la poésie toujours extrême des gares, des locomotives, des couloirs et compartiments, du staccato musical régulier de la marche du train sur les rails, des fumées et des escarbilles… Mais on peut voir ça dans cent films. Puis l’atmosphère des restaurants au personnel déférent ; et celle des cabarets où des danseuses de cancan font frémir le public en faisant voler leurs jupes et en levant haut les gambettes. Voilà qui n’est pas rare non plus…
Le scénario ? L’histoire d’un garçon niais, Marcel Valmont (Pierre Batcheff) qui a volé une grosse somme dans le coffre de la banque dont il est employé (ceci, on l’apprendra plus tard) et qui veut s’embarquer pour l’Amérique latine. Dans un compartiment du train qui l’emmène au Havre entre Gaston Bouchard (Jacques Varennes) qui sympathise d’autant plus vite avec le jeune homme qu’il a vu tout de suite qu’il possédait un magot. Car Bouchard est en fait un assassin redoutable et habile qui vient de s’évader. Ceci, nous, spectateurs qui sommes des malins, nous l’avons tout de suite compris ! Mais Marcel n’a rien vu évidemment et il est ravi que son compagnon de voyage, qui se prétend riche et globe-trotter a prévu d’emprunter lui aussi le paquebot sud-américain.
À l’arrivée à la gare, Gaston le bandit présente Marcel à sa sœur Georgette (Danièle Parola), qui est en fait sa gagneuse ; et il donne mission à la jeune femme d’embobiner le jeune homme pour plus facilement lui dérober son portefeuille. Mais, comme de bien entendu, Georgette qui, comme on dirait aujourd’hui est sous emprise de son barbeau, tombe illico amoureuse du garçon. S’ensuivent les péripéties et les coups de théâtre qu’il vous est assez loisible de deviner. Je rassure tout le monde : ça se termine bien, Gaston est arrêté par la police, Marcel restitue l’argent à sa banque et retrouve Georgette, gravement blessée par Gaston, mais blessée seulement ! Une vie d’amour s’ouvre devant les jeunes gens.
J’ai dit que Danièle Parola était jolie ; mais ça ne suffit tout de même pas. Jacques Varennes a souvent excellé dans les rôles de magistrats (notamment chez Sacha Guitry) ; dans le rôle d’une méchante arsouille il est extrêmement mauvais. Le nigaud Marcel c’est Pierre Batcheff, l’ami des surréalistes qui mourut jeune, à 31 ans, d’une sorte d’overdose médicamenteuse ; c’est le personnage masculin du Chien andalou de Luis Buñuel ; très tête-à-claques, ce qui est peut-être, après tout, justifié pour le rôle. Et enfin, pour l’anecdote, je cite Josseline Gaël qui joue Fanny, l’amie de cabaret (et peut-être un peu plus) de Georgette. Un bon moment compagne de Jules Berry, elle fricota pendant l’Occupation avec un membre éminent de la Gestapo française de Lyon, fut condamnée à l’indignité nationale. Son assez prometteuse carrière en fut naturellement brisée.Voilà beaucoup d’anecdotes, d’ondoiements et de dérives pour un si petit film. Moins j’en ai à dire, plus j’en raconte, je sais !