Il n’y a rien d’étonnant à ce que ce film ait connu plusieurs versions et que certaines séquences soient présentes ici, absentes là : après tout, n’est-ce pas normal pour un film dont le propos est d’essayer de montrer la multiplicité invraisemblable des existences et comment le battement d’ailes d’un papillon, c’est-à-dire une modification infinitésimale de la réalité suffit à donner d’extraordinaires bouleversements de l’histoire que nous connaissons ? Nous savons bien, intuitivement, qu’il n’est pas indifférent, dans nos propres vies, que, à un moment donné, nous prenions la rue qui tourne à droite, la rue qui tourne à gauche, la rue qui va tout droit et que le choix que nous faisons – ou l’absence de choix – peut nous faire rencontrer des aventures bizarres… ou pas d’aventures du tout. Ce qui influera ) sur la suite de notre existence.
De très nombreux auteurs de science-fiction se sont penchés sur ces singularités fascinantes ; et en réfléchissant à nos propres vies, si nous sommes un peu honnêtes avec nous-mêmes, nous voyons bien comment, à certains instants, il y a eu des choix – ou des non-choix – décisifs.
L’effet papillon procède de ces préoccupations et les met en scène de façon assez habile, tout en se perdant, à la fin, dans sa propre complexité, c’est-à-dire en entassant les unes sur les autres les strates et les bifurcations. Il est vrai qu’elles commencent d’emblée à s’accumuler. Evan Treborn (Ashton Kutcher) vit aux alentours de New-York, dans une bourgade sans charme et apparemment sans histoire. Existence banale d’un gamin dont la mère est infirmière et dont le père, Jason, qui a souffert de troubles graves de la mémoire, est interné dans un asile. Seulement, dans le déroulement des jours d’un petit garçon, puis d’un adolescent comme Evan, il y a des ruptures : certains instants dramatiques cruciaux sont régulièrement gommés de sa mémoire ; c’est la situation classique du déni, pourrait-on dire.
À la différence qu’Evan découvre fortuitement que, comme jadis l’a pu son père, il parvient à retourner dans ses souvenirs et à faire en sorte de modifier le cours malheureux des événements. Qui ne rêverait de pouvoir ré-arranger le passé en faisant disparaître les mauvais choix et les tristes routes ? Comment ne pas se vouloir démiurge au milieu de la complexité du monde, de ses tristesses et même de ses horreurs ? D’autant qu’Evan n’a pas vécu une de ces destinées fluides et gracieuses qu’on ne souhaiterait pas retoucher, ou simplement à la marge infime. L’internement de son père, d’abord, mais aussi les relations qu’il entretient avec sa bande de copains. S’il vit avec Kayleigh (Irene Gorovaia) un amour enfantin chaste, il subit l’influence de Tommy (Jesse James), frère cruel de son amie, l’une et l’autre abimés par leur père pédophile George (Eric Stoltz), les uns et les autres prenant pour souffre-douleur le grassouillet Lenny Kagan (Kevin Schmidt).
C’est brillant, intelligent, quelquefois même délicieux ; mais à force de brio, précisément, voilà qu’on se perd dans les alluvions qui s’accumulent et dans les bifurcations infinies qui entraînent des drames souvent pires que ceux qu’elles étaient censées pallier : on ne joue pas comme ça avec la réalité donnée. Le film n’est pas exempt de cette évidence. Car il n’y a aucune raison qu’il se termine ; ni bien, ni mal.Au fait, Evan a-t-t-il jamais existé ?