Du temps (il y a déjà un demi-siècle, doux Jésus !), du temps où je lisais toute la littérature de science-fiction qui paraissait en France, j’avais déjà un peu de mal avec les romans de J.G. Ballard. Le monde englouti, Sécheresse, La forêt de cristal ; plus tard I.G.H., ça me laissait un malaise désagréable, une trace malsaine. Et entretemps, il y avait eu Crash qui m’avait à la fois décontenancé et légèrement dégouté. J’aurais donc bien dû me dire que l’adaptation de cette histoire violente, glaçante, scandaleuse par David Cronenberg, qui n’est pas particulièrement réputé pour sa délicatesse et son bon goût, me dérangerait passablement. De fait, j’ai reçu la dose que je craignais bien devoir recevoir et je sors de la vision du film avec une aigre impression.
Le film flirte quelquefois avec la pornographie, mais ce n’est pas ça qui me gêne : je suis assez grand garçon pour ne pas me formaliser des histoires de jambes en l’air ; et cela surtout lorsque les protagonistes féminines sont aussi séduisantes que Deborah Kara Unger, Holly Hunter ou Rosanna Arquette. Je n’ai pas de restriction de principe non plus contre les trucs un peu horribles, un peu cruels, un peu méchants. Et l’étendue invraisemblable, la recension des perversions humaines me donne plutôt à songer qu’à m’indigner. D’où vient alors que je sois si mal à l’aise ?
Ce n’est pas que le film manque de talent ou de qualité, loin de là et la note minimale que je lui donne n’a, naturellement, aucun sens. Crash n’est pas un film insignifiant ; je ne dis pas qu’il recèle des séquences somptueuses, des images bluffantes, des moments inoubliables, des réflexions qui vont au delà de notre pauvre quotidienneté. Mais c’est solide, clair, bien interprété, peut-être un peu complaisant dans l’exhibition des corps, mais sans rien qui puisse déranger le cinévore.
Mais c’est contaminant. Écrivant cela, il faut que je m’explique et dise un peu de quoi il s’agit. De la fascination malsaine, morbide éprouvée par un couple pour la violence extrême des accidents de voiture et – si je puis dire – par l’exaltation presque orgasmique des blessures consécutives. James Ballard (James Spader), réalisateur de cinéma et sa femme Catherine (Deborah Kara Unger) sont liés par une sexualité libertaire, continue, envahissante. Après un grave accident de voiture où son imprudence a tué un homme et qui l’a conduit à l’hôpital, James entreprend une nouvelle liaison avec Helen Remington (Holly Hunter) qui était la passagère de l’autre automobile et la femme (?), la maîtresse (?), la rencontre d’un soir (?) de l’homme qui est mort.
Dans les couloirs de l’hôpital, James et Helen ont rencontré un type très bizarre, Vaughan (Elias Koteas). Est-il sociologue ? Artiste ? Anthropologue ? Scénariste ? Mage ? Devant un public fasciné, il reconstitue des accidents de voiture célèbres. James et Helen assistent à la mise en scène de celui qui a coûté la vie de James Dean en 1955 sur la route de Salinas, grâce à un pilote expert et un cascadeur… La prochaine mise en scène doit être celle de la mort de Jayne Mansfield en Louisiane en 1967…Jusque là, après tout, pourquoi pas ? On sait qu’il existe dans nombre d’endroits des amateurs de risques extrêmes qui viennent assister à des tours de fous et suffisamment de cinglés pour se donner en pâture.
Mais là où ça se gâte c’est dans la contamination subie, au contact de Vaughan par James, Catherine et Helen, une sorte d’épidémie qui se répand, d’autant que le trio approche désormais aussi Gabrielle (Rosanna Arquette) naguère gravement blessée, qui ne se déplace plus qu’avec des attelles qui enserrent ses jambes, mais ne gênent en rien (ou à peine !) sa sexualité débordante… Fascination, sidération devant les cicatrices, folle volonté d’en acquérir soi-même.Tout ça se termine (se termine ? même pas !) dans le sang et la folie. Et le sperme, pour faire bonne mesure.
On se sent sali.