Les mauvaises rencontres

Fumée légère.

Je suis bien embêté d’avoir vu ce film, plus encore de me donner l’obligation de commenter ce que j’ai vu : parce que Les mauvaises rencontres est une œuvre d’Alexandre Astres et parce qu’il a été adapté par le réalisateur et Roland Laudenbach d’un roman de Cécil Saint-Laurent. Or il se trouve que, du fait des hasards de la vie, j’ai rencontré deux fois Astruc, homme d’une grande cordialité qui, ne pouvant presque plus filmer s’était tourné, avec un certain succès vers l’écriture ; et plus encore j’ai passé des heures merveilleuses à la brasserie Lipp boulevard Saint-Germain, à boire des whiskies avec Jacques Laurent.

Au cas où des ignares ne le sauraient pas je précise que le romancier Cécil Saint-Laurent était le nom de fantaisie de Jacques Laurent. Cécil, auteur prolifique, inspiré et délicieux était l’auteur de cycles romanesques qui rencontraient un succès fou (Caroline chérie, par exemple ou Hortense 14-18) ; ces succès de librairie permettaient à Jacques de financer le journal Arts et d’écrire de vrais romans. Et j’ajoute que j’ai aussi longuement approché et correspondu avec Roland Laudenbach, fondateur des Éditions de la Table ronde (et accessoirement neveu de Pierre Fresnay).

Ces petites révélations intimes insignifiantes étant faites, je suis de ce fait plus à l’aise – mais aussi plus malheureux –pour dire peu de bien des Mauvaises rencontres, film flou, éparpillé, insignifiant dans son récit et mal maîtrisé dans son filmage. Il se peut que le roman originel, qui s’appelle Une sacrée salade, dans sa brièveté (160 pages) ait davantage fait sentir les bifurcations et incertitudes de Catherine Racan (Anouk Aimée), jeune journaliste d’abord idéaliste qui sacrifiera son honnêteté d’esprit grâce aux conseils d’une sorte de Pygmalion amoral, Blaise Walter (Jean-Claude Pascal) puis poursuivra une vie de bric et de broc, réussie sur le plan professionnel, chaotique sur tous les autres aspects de la vie.

Ce qui est agaçant, c’est qu’on ne voit pas de fil directeur ; peut-être est-ce dû aux nombreux flash-back qui ponctuent la narration ; dès les premières images, on voit Catherine interrogée rudement, 36 quai des Orfèvres par l’Inspecteur Forbin (Yves Robert) dans une affaire de complicité d’avortement commis par le docteur Danielli (Claude Dauphin).Complicité d’avortement et interrogatoire serré : on voit combien le film date ! (Mais on voit aussi combien les Parisiens et Parisiennes de 1955 étaient plus élégants que ceux d’aujourd’hui). Le film va relater les mauvaises rencontres qui ont émaillé le parcours de la jeune femme jusqu’à la conduire devant la Police judiciaire.

Catherine est venue de Besançon à Paris avec son jeune amant, Pierre Jaeger (Giani Esposito) qui espère y engager une carrière dans le journalisme (ou la littérature ; la chose est incertaine) ; au bout de quelque temps le jeune homme se décourage et retourne en Franche-Comté. La jeune femme, qui a un peu d’argent devant elle part le claquer sur la Côte d’Azur. Dans le Train bleu d’abord puis dans les rues de Nice, elle attire – et elle est attirée – par Blaise Walter (Jean-Claude Pascal, donc) qui est quelqu’un d’important dans la presse à succès ; il devient son amant, la pousse à écrire, perfectionne sa rédaction, la fait publier… Mais brusquement la quitte. Entretemps elle a fait connaissance d’Alain Bergère (Philippe Lemaire), photographe pigiste embauché un temps par Walter.

Elle retrouvera Bergère à Paris lorsqu’elle y sera revenue, aura une histoire avec lui, fera connaissance avec le docteur Danielli (Claude Dauphin) qui donne de belles soirées mondaines un peu troubles ; mais qui, soupçonné à tort d’être avorteur, se suicidera, alors même que Catherine partagée entre les hommes de sa vie, Pierre/Esposito, Blaise/Pascal et et Alain/Lemaire se dirige vers un destin médiocre. On peut reconnaître à Alexandre Astruc une intéressante façon de filmer celle appelée la caméra-stylo : vues décentrées, gros plans bien amenés, caméra intrusive. Mais cette palette séduisante bute contre la désarticulation du récit et l’insignifiance du scénario.

Voilà, chers Astruc, Laudenbach, Laurent, vous qui êtes tous les trois au Paradis, j’espère que vous ne m’en voudrez pas trop lorsque nous nous y retrouverons.

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