Ah oui, quelle merveille que ce film des plus belles années du cinéma français, plein d’intrigues compliquées, de dialogues spirituels et intelligents (du Jeanson ! C’est dire) et de numéros d’acteurs tous plus remarquables les uns que les autres ! Je n’évoque pas même, à ce moment, les vedettes du premier rang mais tous ceux qui, pour quelques secondes quelquefois, s’ancrent dans l’œil du spectateur et donnent de la profondeur, de l’épaisseur, de la substance au film ! Qu’est-ce que nous avons perdu avec l’indifférence des rogues petits seigneurs subventionnés d’aujourd’hui pour ces modestes et indispensables serviteurs du cinéma, qui donnaient tant de plaisir ! Jacques Monod, le Procureur, Hubert Deschamps, le médecin, Mony Dalmès la tenancière des studios coquins et même Bernard Musson le majordome compassé… Sans oublier la rapide pige faite par José Luis de Villalonga dans le rôle du très rapidement mort…
Une fois écrit cela, il faut évidemment se pencher sur et applaudir les grands acteurs des Bonnes causes. Dussè-je agacer ses nombreux admirateurs, je ne trouve pas Virna Lisi, pourtant bien gironde, au niveau des autres protagonistes : petit oiseau effrayé et médiocre, c’est un fait et c’est son rôle, on en est bien d’accord ; mais elle n’imprime jamais la moindre marque aux séquences où elle est employée. Et elle est tout de même beaucoup moins belle que Marina Vlady qui peut, en plus, mettre en valeur la trouble splendeur de son visage slave dans le rôle de la machiavélique absolue démone.
Mais naturellement, quelle merveille de contempler le duel entre les deux acteurs les plus dissemblables qui se puissent ! Pierre Brasseur, la voix, la puissance, la morgue, l’allure dominante, le pouvoir et la supériorité incarnés. Et en face de lui Bourvil, toujours admirable dans ses rôles graves, avec sa physionomie de petit employé, de comptable constipé nécessiteux et son honnêteté, sa profondeur, son courage ! De ce contraste naît un film à scénario ingénieux, habile, plein de péripéties et de subtilités procédurières, presque deux heures de plaisir continu. Doux Jésus ! Pourquoi n’existe plus guère de nos jours ce genre de films solides, bien construits, charpentés sur des contrastes, qui ne se grattent pas le nombril sur des histoires de genre ou d’identité sexuelle ou de minorités prétendument persécutées ! Des histoires solides et bien fichues. Voilà ce dont nous avons besoin.
Avec l’aide de son amant périodique Charles Cassidi (Pierre Brasseur) ténor du Barreau ? Oui et non ; c’est un peu plus complexe que ça. Et c’est d’ailleurs tout le charme du film. Bien sûr il n’est pas bien compliqué de comprendre que la louve, la vipère, l’aspic, la scorpionne mène totalement le jeu et tient la dragée haute devant son suffisant amant.
Avec les dialogues d’Henri Jeanson, il y a une qualité, un brio, une allure de haute tenue ; quelques scènes qui rassemblent les acteurs principaux dans les endroits clos font partie des meilleures qui se puissent, échanges brillants, confrontations tendues, combats entre combattants de grand lignage. Un véritable régal. Et puis le double twist final est aussi délicieux que réjouissant.