Téléfilm distingué, élégant, bien élevé, du temps où la télévision avait du talent et la volonté de montrer à son public des histoires intelligentes. François Chatel, le réalisateur, présentait aux Français spectateurs de la chaîne unique (ou des deux seules chaînes) des auteurs aussi insignifiants que Théophile Gautier, Colette, Françoise Sagan, Barbey d’Aurevilly, Marivaux, Jean Anouilh. Rien que de la gnognote, n’est-ce pas, par rapport aux merveilles du rap, de Cyril Hanouna et à l’esprit subtil de la télévision poubelle.
L’ouvrage s’ouvre par une brillante intervention de l’auteur, qui conte pourquoi et comment elle a écrit son court roman. Quel bonheur de voir Louise de Vilmorin, filmée chez elle, à Verrières, pétillante, malicieuse, acide, spirituelle, charmeuse et charmante. L’ironie, la distinction, l’intelligence, l’esprit, une façon aristocratique de vous entraîner vers son récit. Une histoire vécue qu’elle a transposée dans un récit : une lettre qu’elle avait écrite à Londres et adressée à Orson Welles par mégarde oubliée dans un taxi. Une lettre qui contenait quelques persiflages sur la famille britannique qui l’avait invitée et qui aurait pu, si elle avait été découverte et publiée lui valoir quelques ennuis mondains.
Rien de cela. Un chauffeur de taxi bien élevé avait peu après posté le courrier oublié, reçu quelques jours après par son destinataire qui en a fait part à son auteur ; mais pendant la décade d’incertitude, Louise avait eu le temps de s’imaginer une histoire pleine de péripéties virtuelles. Et, peu après, de l’écrire et de la publier.
Avec le concours d’Antoine Blondin, le plus doué des Hussards et la qualité de filmage de François Chatel, voilà donc un très bon moment de bonne télévision, irrigué de surcroît par la musique spirituelle de Serge Gainsbourg à qui la télévision de jadis ne craignait pas de confier les rênes. Donc Cécilie (Micheline Presle) est l’épouse bourgeoise, calme, aimante, sereine et un peu éteinte de Gustave (Jean Leuvrais) qui accomplit une très belle carrière dans la banque d’affaires sous la houlette un peu gênante, un peu malhonnête de Doublard-Deschaumes (Hubert Deschamps), lui-même affublé d(une femme idiote, Marceline (Madeleine Barbulée) et de Nanou (Caroline Saint), son oie blanche de fille.
Accompagnant à la gare de Lyon sa fausse amie Gilberte (Jacqueline Monsigny), Cécilie oublie dans le taxi une lettre qu’elle a écrite à son frère Alexandre (Bernard Woringer) auteur dramatique et séducteur patenté ; celui-ci vient d’ailleurs d’abandonner Gilberte qui en est marrie, alors qu’elle-même collectionne les aventures.Le client suivant du taxi est Paul Landrieu (Jean Rochefort) qui – circonstance fortuite (et un peu funambulesque) -nourrit une attirance passionnée pour Cécilie dont la brillante vie mondaine est relatée par la presse. Voilà l’occasion pour entrer en contact avec la jeune femme et essayer de la séduire.
Il n’est pas lieu de décrire le brillant, cavalcadant récit qui commence dans le brio des meilleurs vaudevilles, les quiproquos, les pieux mensonges qui se retournent immédiatement contre ceux qui les ont commis, les fausses confidences, les hasards miraculeux, les rebondissements improbables. Il ne manque même pas les saynètes jouées et chantées.
Mais à force de jouer avec le feu, on risque de se brûler ; gravement ou légèrement. C’est là qu’on peut rapprocher La lettre dans un taxi du chef-d’œuvre de Louise de Vilmorin (qui est aussi le chef-d’œuvre de Max Ophuls) : Madame de…. Une brillante spirituelle anecdote, une virtuosité légère dans ce qui semble être au début une comédie mondaine et qui s’achèvera dans les fumées grises. Gris sombre dans Madame de…, gris clair dans La lettre dans un taxi. Il y avait sans doute dans le ton, dans l’allure, dans la vie de la châtelaine de Verrières une petite touche d’amertume : les histoires qu’elle conte, si brillantes qu’elles puissent d’emblée paraître, ne se terminent jamais bien (on peut aussi citer Le lit à colonnes adapté en 1942 par Roland Tual).
Le grand compositeur Francis Poulenc disait de Louise qu’il trouvait dans ses poèmes une sorte d’impertinence sensible, de libertinage, de gourmandise. Rien d’étonnant de celle qui était la reine des palindromes et des vers holorimes et qui écrivait, à propos d’elle-même :
Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas.