Comme on n’avait pas peur des mots aux temps anciens de la prospérité, on n’appelait pas les vieillards seniors ou – pire ! – personnes âgées, euphémismes ridicules qui n’abusent personne sauf ceux qui sont dans le déni. Mais comme au début des années 60 la jeunesse commençait à avoir droit au chapitre et à s’émanciper un peu, elle s’amusait à trouver pour leurs aînés des sobriquets narquois, ironiques, jamais méchants (tout au moins dans l’esprit). Il y a eu un temps la mode des PPH (Passera pas l’Hiver) aggravé par le PPS (Passera pas la Soirée) pour les très vieux. Il y a eu surtout, souvent destiné aux parents, ce terme de Croulant qui n’est pas mal trouvé et qui dépeint assez justement l’âge où hommes et femmes abordent la pente descendante de la vie : la cinquantaine.
Adapté d’une pièce de théâtre du prolifique Roger Ferdinand par le non moins prolifique Jean Boyer, voilà que Les croulants se portent bien valent mieux que leur titre abominable (un peu comme Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carné). On le sait, Boyer est capable du meilleur (Prends la route 1936, Circonstances atténuantes 1938, Nous irons à Paris 1950) comme du pire (L’acrobate1941, Le trou normand 1952, Le chômeur de Clochemerle 1957). Les croulants se portent bien se placent juste au-dessous de la ligne de flottaison et on y peut trouver de l’agrément.
Scénario tranquille et facile : François Legrand (Fernand Gravey), qui a 49 ans, est un compositeur à succès de musique légère. Il vit dans un bel hôtel particulier très bourgeois avec sa mère, Minouche (Jeanne Aubert) ancienne chanteuse demeurée excentrique qui a eu une vie amoureuse très remplie et a donné ce travers à son fils qui en a repris fermement l’héritage. Les aventures de François, multiples et embrasées sont regardées avec indulgence et tendresse par ses deux enfants, Michel (Jacques Perrin) et Martine (Sophie Daumier), 19 et 18 ans, qui n’ont pas connu leur mère (on ne sait pas pourquoi ; disparue ou enfuie ?)
Multipliant les aventures et ne pouvant croiser un joli minois sans essayer de le séduire, François, membre du jury du Conservatoire, tombe immédiatement sous le charme de Jacqueline (Claudine Coster), 20 ans à peine, qui est dotée d’un joli filet de voix et qu’il engage illico pour assurer le rôle principal de sa prochaine opérette. Tout irait comme de coutume si la jeune femme, très amoureuse aussi mais plus vertueuse ou plus fine mouche que ses précédentes conquêtes, n’exigeait de se marier avant de céder. Trente ans d’écart ! N’est-ce pas un peu scabreux ?
Rien n’y fait : François Legrand va consulter son meilleur ami et éditeur Émile Cadeau (Pierre Dux) qui essaye de lui montrer l’absurdité de la situation, lui rappelle qu’il s’est enflammé dix fois pour des gourgandines ensuite vite oubliées et que son âge devrait le retenir. Furieux, le musicien s’en va, très fâché. N’empêche qu’il met dans le coup sa fofolle de mère et la gagne à son projet ; mais que penseront les enfants ? Jusqu’alors ils ont été bien contents que leur cavaleur de père leur laisse la bride sur le cou pour mener leur vie de jeunes gens ; mais une belle-mère de leur âge qui prendra place dans la demeure familiale, est-ce la même chose ?
Une petite conspiration est montée : lors d’un déjeuner dominical Jacqueline sera invitée sous prétexte de répétition et, au moment opportun, l’annonce sera faite. Pour lisser les choses sera également invitée Thérèse (Nadia Gray), 38 ans, une charmante voisine, veuve depuis peu.
Mais si Michel/Perrin est d’emblée charmé par Jacqueline, Martine ressent pour elle une animosité immédiate qui éclate lorsque l’annonce du mariage est faite. La jeune fille, pour se venger de son père, entreprend alors de séduire l’ami Émile/Dux venu pour se réconcilier ; pendant ce temps-là cette coquine de Thérèse/Nadia Gray n’a aucun mal à séduire Michel, ce qu’elle guettait depuis longtemps (et réciproquement).
On voit bien la machinerie, assez habilement montée par Roger Ferdinand : à un moment donné, tout le monde se prend au jeu et envisage de passer sur les différences d’âge ; l’atmosphère est à l’amour, d’autant qu’Armand (Jean Tissier) vieux soupirant de Minouche revient inopinément d’Amérique du Sud où il a passé trente ans. Mais il faut bien que ça se dénoue ; en fin de compte les jeunes gens ouvriront les yeux et retrouveront les jeunes gens de leur génération. Émile et Thérèse engageront une aventure… Cela, c’est le happy end traditionnel et très moral.
N’empêche que la dernière image est pour le couple enlacé de François et de Jacqueline. Et il faut noter que François a toujours trente ans de plus et que ça ne va pas s’arranger. Un peu d’immoralisme dans le sage paysage ne fait pas de mal…