L’empire des sens

Nipporno délirant.

Tout le monde, ou presque, a entendu parler de ce film exotique, confiné dans les paysages urbains ennuyeux, sombres et encombrés du Japon de 1936, où deux amants sans épaisseur passent leur temps à se donner du plaisir devant les yeux de spectateurs vite lassés. Remarquez, ayant écrit cela, il faut que je mette d’emblée quelques nuances. D’abord parce que se donner mutuellement du plaisir est plutôt davantage agréable que de se jeter des injures à la figure ou s’ennuyer à la lecture d’un livre d’Alain Robbe-Grillet. Puis parce que je crains que nombre des spectateurs aient été ravis de voir cet empilage de baises diverses.

C’est que, grâce à la réputation d’Anatole Dauman, producteur révéré de la Nouvelle vague, le film de l’inconnu (en Occident) Nagisa Oshima au lieu d’être représenté sous le label X dans les salles spécialisées pornographiques, a bénéficié de l’aura qui s’attache, ou prétend s’attacher aux immarcescibles œuvres de l’esprit (et du génie, pendant qu’on y est). Le label film d’auteur permettait à tous les cochons qui sommeillaient alors dans la bourgeoisie giscardienne de se rendre dans des salles d’exclusivité sans se dissimuler et même, si l’on était hardi, libéral avancé de ne pas dissimuler à ses partenaires de golf et de conseils d’administration qu’on avait admiré un film audacieux.

Ce n’est pas audacieux qu’est L’empire des sens : c’est lourd, lent, long, nul, dégoutant. Ça raconte une histoire vraie, paraît-il, survenue en 1936, dans le Japon militarisé et encore archaïque de la dérive de deux amants qui n’ont, au demeurant, aucune autre épaisseur que d’avoir l’un pour l’autre un appétit considérable et excessif. Si excessif qu’il les coupe peu à peu de la société des humains et les confine à la copulation perpétuelle.Il semble que le scénario du film soit assez conforme à la réalité de l’histoire. Sada Abe (Eiko Matsuda), ancienne geisha de troisième rang, ancienne prostituée à la réputation d’inassouvissable, commence à travailler dans un restaurant Yoshidaya à Tokyo. Le propriétaire de l’établissement, Kichiz Ishida (Tatsuya Fuji) est un coureur de jupons qui laisse à sa femme Toku (Aoi Nakajima) le soin de gérer l’établissement, tout en la sautant régulièrement au vu et au su de ses employées.

Le patron est très attiré par la jeune femme et ne met pas longtemps à la séduire. À partir de là s’engage une relation intensément sexuelle où les deux amants n’ont d’autres préoccupations que leur perpétuelle jouissance, l’un et l’autre insatiables et faisant l’amour de tout temps, en tous lieux et devant n’importe qui. La relation devient de plus envahissante et exclusive, même si, pour avoir de l’argent – car le restaurant semble avoir des difficultés financières – Sada Abe va de temps à autre coucher avec de vieux clients, comme le professeur Ômiya (Kyôji Kokonoe).

La folie les guette : ils restent quelquefois confinés plusieurs jours dans la même chambre, à l’étonnement et avec la complicité de l’aubergiste Tagawa (Yasuko Matsui) que, d’ailleurs Kichizo viole à demi un jour où Abe Sade s’est absentée.Mais la jalousie de la jeune femme commence à envahir tout son (petit) espace intellectuel ; et puis, comme d’évidence, l’excès appelle l’excès : jeux érotiques dégoutants (un œuf inséré dans le vagin puis expulsé qu’ils dégustent ensemble), coups sadomasochistes, menaces. Sada Abe menace son amant de le castrer pour qu’il n’aille pas coucher, jamais, avec une autre femme : premier avertissement. D’autant plus menaçant que l’homme, lors d’un passage à son restaurant, refricote avec sa femme légitime et que son amante, qui l’a suivi, le surprend et lui fait une scène.

Nouveau jeu érotique : l’étrangement mutuel, censé accentuer les tentations ressenties pendant le coït. Et comme on n’en a jamais assez dans le genre, la fin est évidente et Kichyzo y passe et en trépasse. Sada Abe lui coupe alors pénis et testicules, qu’elle enveloppe dans des journaux. Avec cette bouillie sanglante elle errera quatre jours dans les rues de Tokyo. Ceux qui s’intéressent à la suite ou veulent avoir plus de détails pourront utilement consulter la notice Wikipédia, incroyablement longue et détaillée.

Le film est d’un ennui pesant, ai-je écrit plus haut : les deux personnages n’ont aucune substance, aucune épaisseur, ne peuvent entraîner aucune empathie ni (heureusement !) aucune identification. Les images passent, bien photographiées mais ne suffisent pas à faire oublier la répétitivité des scènes et la fin tellement prévisible de la folle aventure. On peut noter que l’actrice Eiko Matsuda a un très joli corps, abondamment dévoilé et que les scènes pornographiques sont aussi lassantes que complaisantes.

Heureusement que c’est loin, le Japon !

 

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