Ceux qui n’ont jamais lu Le comte de Monte-Cristo (même dans la version raccourcie et enfantine de la Bibliothèque verte), qui n’ont pas pu vibrer au fil des 1500 pages du roman d’Alexandre Dumas dans sa version intégrale pourront trouver du plaisir à regarder cette grande machinerie hollywoodienne. Il est vrai que lire, aujourd’hui, c’est demander beaucoup. Pourrait-on alors renvoyer aux précédentes adaptations filmées du récit ? Une bonne dizaine depuis l’arrivée du cinéma parlant, notamment celle de Robert Vernay en 1954 avec Jean Marais ou celle de Claude Autant-Lara en 1961 avec Louis Jourdan dans les rôles-titre.
À dire vrai, aucune de ces versions n’est vraiment satisfaisante, peut-être parce qu’il est difficile de transcrire à l’écran cette efflorescence aussi compliquée et pénétrante que Les Misérables de Victor Hugo. Il faut tellement sarcler, rogner, éliminer, simplifier qu’on perd beaucoup du suc originel. Je n’ai jamais vu la série en 4 épisodes de Josée Dayan en 1998 avec Gérard Depardieu ; peut-être sa longueur permet-elle de développer quelques épisodes supplémentaires ; mais la médiocrité intrinsèque de la réalisatrice m’ouvre des doutes.
Toujours est-il que le film d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, malgré ses 3 heures qui paraissent interminables n’est qu’un bien médiocre et faux (surtout faux) résumé de l’oeuvre de Dumas. Musique clinquante, assourdissante, abominable, mielleuse. Belles images et beaux châteaux : grâce au succès des Trois mousquetaires woke des deux compères, les moyens n’ont pas manqué : les couchers du soleil ont tout ce qu’il faut pour séduire, les flambeaux et les cierges illuminent congrument les nuits, les sous-bois paraissent fleurer bon, les intérieurs sont somptueux ; il n’y a que les rues de Marseille en 1815 qui sentent l’image de synthèse.
Et les acteurs sont de qualité ; je n’aurais pas cru que Pierre Niney, qui me semblait de complexion un peu fragile pût supporter un rôle aussi écrasant : un fier garçon, un marin courageux emporté par suite de fatalités épouvantables vers une sorte d’enfer sur terre, dans un cul de basse-fosse du château d’If puis miraculeusement sauvé et rendu fabuleusement riche, qui va passer le reste de sa vie à poursuivre et à se venger de ceux qui lui ont fait perdre la liberté et Mercédès (Anaïs Demoustier), l’amour de sa vie. Les seconds rôles font ce qu’ils peuvent et ils assurent leurs cachets sans démériter. Mais est-ce que ça suffit ?
Ajouter des personnages – insignifiants -, en supprimer d’autres – importants – et croire que l’on va pouvoir tout de même reconstituer un des plus grands romans d’aventures de la littérature française en mélodrame larmoyant est une honte;
Je passerais des heures à relater les trahisons, les impropriétés, les balourdises, les faussetés, les bêtises du scénario ; on a même droit à une scène de kung-fu et à un duel sanglant où les deux adversaires paraissent sortir de Rambo. Je ne vais pas raconter pourquoi et comment les réalisateurs se moquent du monde en prenant une trame et en la lacérant : je dis simplement : fuyez cette mauvaise action, ce film déjà partout célébré, célébré parce que la littérature n’a plus d’importance dans notre sale monde et qu’on ne veut même pas faire croire qu’elle a du sens.
Ce film mérite des gifles ; malheureusement il n’obtiendra que des bravos.