Voilà un mélodrame qui n’est pas trop larmoyant, alors qu’il s’appuie, pourtant, sur des recettes éprouvées : des secrets de famille, un homme de fer qui s’est fait tout seul et qui dirige de main de maître une importante usine automobile, un jeune homme de grande intelligence mais très malheureux et – ce qui est hardi en 1941, lorsque le film a été présenté sur les écrans – un inceste possible entre une très jeune fille et le jeune homme intelligent qui est, en fait, son demi-frère. Voilà des ingrédients d’une banalité relative que l’on mixe avec une certaine habileté et qui donnent, en fin de compte, un film très acceptable.
En étant très honnête, je pourrais avouer que je me suis un peu ennuyé en regardant L’embuscade de Fernand Rivers ; mais j’ai été sauvé de la somnolence par deux acteurs éclatants, l’un et l’autre au mieux de leur forme et de leur qualité. Jules Berry d’abord, qui interprète un diplomate léger, flambeur, jouisseur, homme à femmes, qui séduit tout le monde et sait procurer aux petites gens des bonheurs minuscules mais tangibles : la croix du Mérite agricole pour un vieux jardinier, l’affectation militaire du fiancé de la soubrette dans une garnison proche, un tuyau valide pour une course de cheval donné au maître d’hôtel. Superficiel, donc, léger comme un elfe, mais comme un elfe, bienveillant et doux. Un intéressant personnage, en tout cas, que cet Armand Limeuil qui, pour des raisons qu’on ignore, est un ami proche du grand industriel Jean Guéret.
Jean Guéret, c’est Pierre Renoir, homme rugueux, autoritaire, self made man qui s’est hissé grâce à son travail et à sa brutalité à une position enviable. Il est riche, puissant, il est le mari d’une jolie femme, Sabine (Alice Tissot) et presque amant d’une femme encore plus belle, Mme de Corsian (Michèle Verly) qui possède aux États-Unis des usines automobiles. Le couple est doté d’une espiègle tête folle, jeune fille très évaporée, Anne-Marie (Francine Bessy) qui n’a aucune espèce d’importance.Il n’y a pas à dire : les deux acteurs, Berry et Renoir sont d’une extrême qualité ; par leur jeu et à eux seuls, ils portent le maigre scénario de L’embuscade un peu au-dessus du médiocre et permettent d’admettre le ronronnement continu des déroulements mélodramatiques qui s’imposent.
Car pour le reste c’est une machinerie souvent ennuyeuse où intervient, en victime désignée, l’ingénieur, censément enfant trouvé Robert Marcel. Ce jeune homme fluet est interprété par Georges Rollin, ce qui plombe gravement le film. Vous ne vous rappelez pas qui est Georges Rollin ? Mais si, voyons, c’est Goupi Monsieur, au visage qui semble avoir été créé pour attirer les claques de Goupi mains rouges de Jacques Becker.
Il se trouve que Robert Marcel est, en fait, le fils naturel de Sabine Guéret/Alice Tissot qui a été pratiquement violée, à l’âge tendre de 17 ans, par une sorte de sale canaille, morte depuis lors. Le garçon a été élevé loin de tout, sous la seule protection de sa mère (mais qui n’a jamais voulu se manifester auprès de lui) et du diplomate Limeuil/Berry qui s’est intéressé à lui parce qu’il a bon fond.
On m’a suivi, jusque là ? On a eu bien du mérite. Se greffe là-dessus un conflit social avec les ouvriers de l’usine, braves gens travailleurs mais un peu empuantis par l’esprit révolutionnaire de mauvaises brebis (Raymond Aimos) (le film date de 1941, ne pas oublier) et par une fin irradiante de bonté et de réconciliation. Ce n’est pas idiot pour autant : deux acteurs formidables, quelques trognes populaires bien choisies, la musique de Vincent Scotto et les retournements de situation qui sont de règle dans un mélodrame. À quoi il faut reconnaître qu’il n’est pas trop larmoyant.