L’agneau

La pesanteur du Mal.

Voilà enfin Cheyenne-Marie Carron commence à recevoir, au bout d’un long combat solitaire et courageux, des soutiens importants. L’agneau est son seizième film et ce n’est qu’au quinzième, l’excellent Que notre joie demeure (2024) inspiré par l’assassinat du Père Jacques Hamel par un musulman fanatique qu’elle a reçu un soutien de Canal +. Ceci alors que le moindre petit machin dans l’air du temps et dans le sens du prétendu Camp du Bien touche des financements qui permettent d’alimenter l’autosatisfaction du cinéma français gorgé de fric par le CNC.

Il se trouve que les temps changent et que les investisseurs se rendent compte que l’atmosphère politique est en train de se modifier. De plus certains ont des convictions profondes, qui les orientent dans le camp catholique conservateur, ce qui n’est pas encore interdit. Un peu de sous a permis à Cheyenne d’avoir un peu plus de moyens que d’habitude pour produire son film, ce que tous ceux qui apprécient la liberté d’expression ne peuvent qu’apprécier.

 L’agneau présente l’histoire de Paul (Johnny Amaro), jeune prêtre beau, bon, charismatique, généreux, profondément ancré dans sa Foi, qui se démultiplie sur tous les fronts de l’Église, reçoit avec la même charité un homme (Alexandre Triaca) désorienté parce qu’il divorce, accusé par sa femme (Agnès Godey) d’attouchements sur une de leurs filles, cette femme, précisément, archétype d’un catholicisme bourgeois, buté mais sûrement sincère ou une prostituée noire (Leslie Tompson) qui ne peut se sortir de sa condition, qui lui a été imposée par sa mère dès l’âge de huit ans.

D’abord une petite suite de reproches à la réalisatrice, qui ne pourront être considérés que par ceux pour qui le catholicisme est d’importance. Cheyenne Carron, de famille catholique, est revenue à la Foi – en Born again – et a été baptisée à près de 40 ans sous l’égide de la mouvance traditionaliste (qui n’est pas synonyme d‘intégriste, moins encore de sédévacantisme). D’où sa dilection pour le port de la soutane par les prêtres (elle m’a même dit un jour qu’elle les trouvait plus élégants ainsi, ce qui n’est pas faux, mais qui est sans objet). D’où aussi sa méconnaissance pour les façons dont le catéchisme est aujourd’hui enseigné. Moi-même catéchiste depuis treize ans dans ma Paroisse, je ne vois aucun rapport entre l’enseignement que je dispense et celui qui est présenté dans L’agneau où de sages petites filles cultivées expriment sur certains passages de l’Ancien Testament des propos très fins. Moi qui suis catéchiste depuis presque quinze ans, dans des milieux plutôt intellectuellement favorisés, je n’ai vraiment jamais vu tant de subtilités et de connaissances.

Peu d’importance, en fin de compte, pour la plupart des spectateurs.

La construction du film est un peu trop simple : on voit trop vite que l’Agneau, c’est-à-dire le bon, le doux, le charitable Paul va être livré aux hyènes de la médisance et des haines de ceux qui l’entourent. Il est accusé par Mathilde (Lou Amara) de l’avoir touchée lors d’une rencontre de catéchèse. Dès lors tout va à vau l’eau ; l’évêque (Éric Denizé) du diocèse, qui pourtant l’apprécie, se méfie avant tout des réactions du public, de l’opinion et de sa hiérarchie : on en est aujourd’hui aux temps de la fuite et de la honte : dans ma paroisse, des sommes inconvenantes ont été dépensées pour munir toutes les salles de catéchèse de portes en verre pour que le moindre doute puisse n’être pas envisagé sur la pureté des mœurs des catéchistes ; où va-t-on quand on met en doute systématique les intentions des bénévoles ? Fait-on de même dans les institutions d’éducation populaire, dans les clubs sportifs, dans les ateliers d’arts, dans les conservatoires de musique ?

Toujours est-il que le pauvre Paul, lâché de partout est soumis à la vindicte de tout le monde et ne rencontre aucune empathie, aucune confiance : la société tout entière lui tourne le dos. Au fait, faut-il rappeler à Cheyenne Carron qu’il n’est pas concevable qu’un Procureur de la République interroge en tête-à-tête un potentiel coupable ? C’est là le rôle du juge d’instruction, assisté de son greffier…Ces maladresses sont un peu gênantes et pénalisent la démarche du film… dont l’achèvement mélodramatique n’est pas des mieux venus. Cela étant, on est toujours ravi de rencontrer le discours courageux d’une réalisatrice qui trace son chemin.

Ferme et fort.

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