Femmes de Paris

femmes_de_paris01

Charmante idiotie

Franchement, je suis bien étonné que quelqu’un ait eu l’idée saugrenue d’éditer, à petit prix et à petite qualité, un DVD de cette œuvrette mineure d’un cinéaste lui-même de second rang. Pourquoi l’avoir acheté et regardé ? me diront, avec un air supérieur (mais pertinent) ceux qui notent que je n’ai encore vu de ma vie un Kurosawa ou un Woody Allen. Ah là là ! si les choses étaient aussi simples, notre actuelle Vallée de Larmes serait un empyrée de délices où couleraient le lait et le miel (eh oui ! un empyrée ! et toc !)

Ce qui est fascinant, dans ce genre de films, ce n’est évidemment pas la faiblesse de l’anecdote, aussi tirée par les cheveux que celles de Paris chante toujours de Pierre Montazel ou de l’immortel Ah ! Les belles bacchantes de Jean Loubignac. Dans Femmes de Paris, Charles Buisson (Michel Simon), astronome, prix Nobel (!), alors qu’il observe une nova en train de se former reçoit un coup de téléphone qui ne lui était pas destiné, mais qui l’était à un certain Patrice, que sa maîtresse prévient que s’il n’est pas avant Minuit dans une boîte des Champs Elysées nommée le « Ruban bleu », elle se suicidera. N’écoutant que son bon cœur, Buisson se précipite au « Ruban bleu ». Les péripéties qui suivent n’ont évidemment aucune importance.

Ce qui est intéressant, donc, ça n’est pas le récit, ou la façon de le filmer, mais bien plutôt la sorte de reportage constitué, presque involontairement, sur les coutumes et moeurs du temps : en 1952, le public des cabarets est âgé, voire un peu davantage, s’habille énormément – hommes en habit, à la rigueur en smoking, femmes en robes du soir – et vient assister à un spectacle où se succèdent des numéros très variés : monologue comique – avec Robert Lamoureux -, chanson fantaisiste avec une vraie diseuse, Patachou, qui détaille finement « Brave Margot » de Georges Brassens, scènes costumées qui permettent de dévoiler quelques jolies poitrines, numéros d’orchestre, où Ray Ventura fait merveille, accompagné par des jeunes pousses (non créditées au générique, mais parfaitement reconnaissables) qui sont Sacha Distel, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault.

Drôle aussi, à nos yeux d’aujourd’hui, la juxtaposition de vieux seconds rôles, comme Gaby Basset, deuxième femme de Jean Gabin, en dame-pipi, et de la jeune Micheline Dax, en snobette à la voix haut perchée, sans parler de Nadine Tallier, bien court-vêtue avant qu’elle devienne Nadine de Rothschild. Un vrai document ethnographique, donc. Qui, en tout cas, m’amuse davantage qu’un reportage sur les Papous ou les Inuits ; chacun ses goûts !

La question des navets et nanars est d’ailleurs  plus profonde qu’il n’y paraît : aucune époque n’est plus sotte qu’une autre et le niveau moyen de l’intelligence humaine n’a pas augmenté depuis l’Égypte ou la Mésopotamie, depuis cinq mille ans.

La curieuse impossibilité de saisir les motivations – tabous ou enthousiasmes – des autres temps devrait nous pousser à relativiser nos jugements sur les époques antérieures et à nous refuser de condamner – ou d’approuver – abstraitement les comportements de nos grands aïeux : dire que le miracle grec est né sur l’esclavage, que Rome a vécu dans la barbarie des jeux du cirque, que le Moyen-Âge finissant a été gâté par l’Inquisition, que les Guerres de religion ont conduit à des massacres affreux… n’a, en soi, aucun sens : ma génération  ou peut-être plutôt celle de mes parents ou de mes immédiats prédécesseurs – a jeté sur les naissances hors mariage, les divorces, la nudité (je prends à dessein des sujets très différents) des regards choqués, voire scandalisés ou indignés, qui semblent totalement incompréhensibles aujourd’hui.

J’avais essayé d’exprimer cela sur le fil de La fille du puisatier de Marcel Pagnol : une fille qui a « fauté » est rejetée par son père, malgré (et à cause, aussi, finalement) de l’immense amour qu’il lui porte : cela, sans doute, peut aujourd’hui se passer dans une famille immigrée, à notre grande indignation. Qui sait si, dans 50 ou 100 ans ce ne sera pas redevenu la règle ? Qui peut le dire ?

Il n’y a pas de progrès des moeurs, mais des transferts de sauvagerie : on ne rejette plus, en Occident, une fille qui a fauté et ramène un polichinelle à la maison, mais on place sans vergogne aucune ses parents impotents dans un mouroir à vieux, où on ne va les voir que trois fois par an…

Pour revenir à des choses plus gaies, comme ce Femmes de Paris, il serait bon de se demander si le charme désuet que nous pouvons trouver néanmoins, vous et moi à ce genre de débilités sera le même lorsque nos enfants parvenus à nos âges regarderont la série des Taxi ou les immondices d’Eric et Ramzy

Vaste problème… Est-ce que les historiens peuvent nous faire saisir la réalité passée ?

Je doute que jamais un Georges Duby puisse nous faire sentir l’élan de foi qui habitait les bâtisseurs des cathédrales ou un Albert Soboul la sauvage impression de pureté qui habitait les éventreurs de Vendéens.

Ceux qui réussiraient peut-être le mieux, ce seraient les romanciers : je n’ai pas encore lu Les bienveillantes mais il semble que Jonathan Littell soit parvenu à reconstituer le cerveau d’un nazi travailleur, consciencieux, plein de bonne volonté et d’ardeur au travail.

Mais est vrai que c’est moins éloigné de nous que ne le sont les honnêtes gens de Rome (et honnêtes gens est employé par moi sans la moindre ironie) qui se délectaient des massacres du cirque !

Leave a Reply