De la nécessité de l’Angleterre.
C’était une époque où la Grande-Bretagne n’était pas encore tout à fait le 51ème état des États-Unis, où l’on pouvait encore tourner des histoires de courage et de folie, celles de Zoulou ou de La bataille d’Angleterre, où l’on ne se crachait pas systématiquement dessus, en battant sa coulpe et en déplorant d’être ce que l’on est… C’était une époque où l’on pouvait adapter Kipling, chantre à la fois lucide et émerveillé de la Découverte, de l’honneur et du courage…
Ce qui est merveilleux, dans L’homme qui voulut être Roi, ce qui est sûrement aussi la patte du grand John Huston, c’est ce regard distant et pourtant si tendre, jamais cynique ou ricaneur sur la pauvre humanité, sur ses grandeurs et ses médiocrités… Le film commence dans une narquoise bouffonnerie : deux sympathiques canailles, qui ne doutent de rien, et surtout pas d’elles-même, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine), dans une Inde de l’ouest qui, à la partition de 1947 deviendra le musulman Pakistan, entreprennent, avec un cynisme assez ostentatoire, d’aller piller les richesses d’une contrée inhospitalière et totalement fermée à la Civilisation, le Kafiristan…
Le Kafiristan, aujourd’hui, c’est une des provinces de l’Afghanistan, mitoyenne de ces zones tribales du Pakistan où les talibans règnent en maîtres ; mais c’est toujours aussi le repaire de curieuses populations que certains prennent pour les descendantes des troupes d’Alexandre le Grand ; c’est tout l’argument de la nouvelle de Kipling et du film : comment, par une suite de fabuleux hasards, deux soldats anglais, plutôt avides d’argent et pleins de mépris pour les natives, en bons anglo-saxons, finiront par réaliser ce rêve improbable avant d’être victimes de leur rêve et de leur amitié.
L’homme qui voulut être Roi commence donc, dans toutes les séquences tournées du côté de Peshawar, dans la fourmilière colorée du sous-continent, comme une comédie rythmée, complice et presque narquoise (la présentation de Dravot et de Carnehan, qui viennent d’être pincés pour une escroquerie devant le gouverneur de la province, la sorte de ballet qu’ils jouent, en allumant leurs cigares devant un Kipling (Christopher Plummer) médusé), mais se prolonge en vrai film d’aventure qui n’a presque rien à envier aux Aventuriers de l’Arche perdue ou À la poursuite du diamant vert aux milieu des terres arides et désolées de l’Afghanistan, dont on comprend fort bien, en voyant leur sécheresse nue comment il est impossible de les jamais conquérir durablement (car des hommes qui peuvent résister à une telle ingratitude des conditions de la vie sont forcément indomptables…).
Et puis, graduellement, le propos s’infléchit : les rudes montagnards sont aussi des sauvages coupeurs de têtes, les prêtres du culte bizarre voué au retour d’Alexandre sont des fanatiques obtus, la jeune femme belle comme une princesse de Golconde désirée par Dravot est une tigresse terrorisée par la perspective de devenir l’épouse d’un dieu vivant ; et tout cela se termine épouvantablement mal, par le massacre de Dravot et la crucifixion de Carnehan…
Sean Connery et Michael Caine sont absolument magnifiques dans leur rôle de franches canailles dépassées par une aventure plus grande qu’eux, reîtres fantastiques d’audace et de folie aventurière, Billy Fish (Saeed Jaffrey) interprète avec talent un de ces Gurkhas qui sont encore aujourd’hui une des troupes d’élite de l’armée britannique, Christopher Plummer est un Kipling spectateur effaré mais admiratif de l’aventure… John Huston filme tout cela avec de magnifiques images et une musique discrète et bienvenue de Maurice Jarre : un film superbe !