L’argent de poche

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Un Truffaut singulier

Dix-sept ans après Les Quatre cents coups, François Truffaut avait encore plein de souvenirs d’enfance à placer ; ça a donné un film absolument foutraque, construit n’importe comment, sans vraie cohérence, au scénario funambulesque et improbable, mais extrêmement attachant.

Je gage presque absolument que toutes les anecdotes, toutes les tranches de vie qui surgissent ici et là, et qui n’ont, pour la presque totalité, aucun rapport les unes avec les autres sont de petits bouts de vie et de souvenirs collés par le réalisateur, de façon si tendre et si vraie qu’on ne voit pas – ou plutôt qu’on se moque de voir – les coutures.

La petite fille punie par ses parents et qui alerte le quartier en criant J’ai faim ! dans un porte-voix, les deux drôles qui, pour se faire un peu de sous, s’improvisent coiffeurs, saccagent la belle chevelure d’un de leurs camarades, le gamin amoureux qui apporte des roses (rouges, couleur de la passion !), à la séduisante mère d’un copain et qui s’entend répondre Tu remercieras bien ton papa !, les flirts au cinéma aux côtés d’un camarade plus dégourdi, le gamin qui tombe de plusieurs étages et qui, miraculeusement, ne se casse rien, la découverte du calvaire d’un enfant torturé par sa mère et sa grand-mère, la conspiration narquoise de la colonie de vacances pour que les amoureux se déclarent, tout cela est si ressenti, retracé, décrit avec tendresse, que l’on voit bien qu’il n’y a que retranscription de l’adolescence – celle qui sort à peine de l’enfance – de sa fragilité et de ses grandes espérances…

La_piel_duraTrès peu d’acteurs professionnels dans cet Argent de poche et aucune vedette : seuls Jean-François Stévenin et Virginie Thévenet ont conservé quelque notoriété ; tous les autres protagonistes, adultes et enfants ont ce ton un peu faux (et, je ne sais pourquoi si véridique) que l’on trouve dans nombre de films de Rohmer ; mais il y a aussi du Varda – des Daguerréotypes, des Glaneurs et la Glaneuse dans ce qui est un très joli film dont le charme n’a d’égal que la désuétude….

Désuétude ? Certes ! Car si ça se passe à Thiers, rassise petite sous-préfecture du Puy-de-Dôme, qui, en 1976, ne devait pas particulièrement être en pointe dans le mouvement de contestation post-Mai 68, on est tout de même sidéré de retrouver ces classes non-mixtes (aux grands bonheur et frustration de ceux et celles qui considéreraient toujours et toute leur vie l’autre sexe comme un Trésor précieux, et non comme un genre égalitaire), des instituteurs et institutrices encore tout empreints de l’importance de leur fonction, – et respectés comme tels -, des classes primaires où l’on a une si grande exigence de vraie culture qu’on fait apprendre par cœur des tirades de L’Avare (mais oui, du Molière, pas du NTM !), et des dates fortes de l’Histoire de France : 1572, 1610, 1648, 1763… En primaire ! Il y a trente deux ans…

Comment les crocodiles de mon âge pourraient ne pas haïr les trois dernières décennies ?

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