Boulevard du crépuscule

Mythomanies et caprices.

Un film magnifique, très noir, très sarcastique et presque tout autant pathétique, avec de drôles de figures dérangées, fêlées, méprisables et très peu de clarté. Un film qui allie intelligence absolue des situations, qualité extrême des acteurs et impeccabilité de la mise en scène.

Un exemple : l’arrivée de Gillis (William Holden) dans l’immense maison décatie où vivent Norma Desmond (Gloria Swanson) et son serviteur, Max (Erich von Stroheim) qui fut davantage que le serviteur de cette gloire déchue : trois plans rapides : Gillis interloqué, Norma, qui le guette protégée par une jalousie et qui lui demande de la rejoindre, Max qui, en parfait majordome, tient ouverte la porte du capharnaüm-cauchemar.

Le scénario de Sunset boulevard est un des plus subtils, les plus habiles qui soient : il entrecroise personnages réels de la machine-Moloch Hollywood (Cecil B. DeMille, Buster Keaton, l’échotière Hedda Hopper), choisit audacieusement de sceller dans leurs propres rôles, à peine décalés Gloria Swanson et Stroheim, l’une et l’autre véridiques stars rejetés de leur gloire par l’irruption du cinéma parlant et le dialogue (étincelant !) évoque à tous propos des stars réelles, Tyrone Power, Alan Ladd ou Darryl F. Zanuck.

Comme l’histoire de Gillis, scénariste talentueux évoque celle de Billy Wilder, qui a connu des débuts difficiles à Hollywood, mais qui était forgé d’un autre caractère que celui, d’une grande veulerie, de son personnage, comme le cinéma, les studios, les caméras sont omniprésents, le film paraît d’un parfait réalisme.

En fait, il est en même temps une réalisation parfaitement baroque et même horrifiante, tellement tout, dans la demeure de Norma Desmond, sent le confiné, le poussiéreux, le moisi et même le morbide, tellement Norma, dans sa beauté figée, représente elle-même une image terrifiante, celle d’un vampire avide de sang jeune. On songe, en regardant la partie de bridge glacée qui réunit, autour de Norma, d’autres acteurs déchus du cinéma muet, à un tableau de Goya, on se dit que l’orchestre impassible réuni pour le Nouvel an, pourrait être celui d’un Bal des vampires moins roublard que celui de Polanski. Et Norma descendant l’escalier monumental de sa demeure pour jouer la dernière scène fait songer, avant l’heure, à Gianna Maria Canale dans Les Vampires de Riccardo Freda

Ce qui est l’intelligence du scénario, c’est aussi que Norma a été la fraîcheur, l’enthousiasme, le talent, la beauté pure alors qu’elle apparaît ab initio, comme une vieille folle nymphomane et que Gillis, à qui, par la force du déroulement de l’histoire, on s’identifie plus ou moins, parce qu’il paraît être le seul individu lucide de cette maison de fous, parce que son histoire d’amour avec la jolie Betty Schaefer (Nancy Olson, excellente) capte l’attention, est tout de même un assez minable gigolo, sans grand talent, et sans vertèbres…

Film fort et prenant sur les faux-semblants du monde, sur la distance, sur la folie paradoxale du comédien…

 

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