Franchement, qu’est ce qui resterait du film de Milos Forman aujourd’hui, si la performance bluffante de Jack Nicholson n’avait été conservée dans toutes les mémoires ?
Vol au-dessus d’un nid de coucou est long, sans rythme, confiné dans un espace clos, manifestement issu d’une pièce de théâtre (la scène de pêche au large, évidemment ajoutée par le réalisateur pour ouvrir l’espace, est artificielle et sans intérêt), tout empreint des idéologies antipsychiatriques qui, au moment du tournage, faisaient florès depuis quelques années, des billevesées libertaires aboutissant à nier la réalité de la maladie et à en faire la manifestation d’une souffrance imposée par les normes de vie en société, société forcément haïssable et castratrice évidemment. On connaît la chanson.
C’est long et sans rythme, c’est vrai, c’est démonstratif, mais ça conserve une certaine efficacité, grâce à une distribution remarquable de tous les acteurs, que le jeu et l’abattage éblouissants de Jack Nicholson n’éteignent pas pour autant, paraissent même rehausser.
Je ne sais pas où Milos Forman est allé trouver Louise Fletcher, au visage de chat cruel, absolument inhumaine de maîtrise de soi, dans le rôle de l’infirmière Mildred Ratcher ; sa filmographie est particulièrement inégale. Vol au-dessus d’un nid de coucou lui a valu un Oscar, et je note qu’elle a ensuite tourné dans l’étrange Exorciste II: L’hérétique de John Boorman que je devrais bien revoir (et dans quoi Nicholson aurait d’ailleurs dû jouer). En tout cas, elle est aussi glaçante et singulière que rêvé !
J’avoue ne pas bien connaître les autres acteurs à part Danny DeVito et Scatman Crothers, qui retrouvera Jack Nicholson cinq ans plus tard dans Shining, où il sera Dick Halloran, le cuisinier noir qui possède lui aussi le don. Mais toutes les physionomies de Vol au-dessus d’un nid de coucou sont remarquables et restent durablement en mémoire.
Que dire alors de Nicholson, dont la faculté invraisemblable d’instiller le malaise et la folie dans un seul regard laisse pantois ? Shining, bien sûr, encore et toujours, mais il est aussi formidable dans des films aussi différents que Chinatown, les méconnues Sorcières d’Eastwick et – pourquoi pas ? – les bouffonneries sarcastiques de Batman ou Mars Attacks!. Grand acteur, immense acteur qui me réconcilierait presque avec le film de Forman, qui me semble tout de même extraordinairement daté.