Habile et réussi.
Si je mets, ce que j’ai fait, 6/6 à Au nom du peuple italien et à Une vie difficile, je ne peux pas raisonnablement pas mettre plus de 5 à Nous nous sommes tant aimés (si la chose était possible, je mettrais d’ailleurs quelque chose comme 4,8 ou 4,9) ; sans doute parce que, dans mon esprit, Ettore Scola est un soupçon en dessous de Dino Risi (un gros soupçon, même), malgré la réussite parfaite de Affreux, sales et méchants.
C’est formidable, Nous nous sommes tant aimés, mais, pour chercher la petite bête, je trouve que c’est précisément un peu trop habile, un peu trop écrit : sous Scola le réalisateur, on sent Scola le scénariste et ses roublardises qui engoncent un peu le film, qui le font manquer de spontanéité : ainsi la structure temporelle trop sophistiquée, ainsi le procédé qui fige les protagonistes, à l’image de la mise en scène de théâtre d’avant-garde que sont allés voir Antonio (Nino Manfredi) et Luciana (Stefania Sandrelli), pour leur permettre d’exprimer leurs pensées profondes, ainsi le savant enchevêtrement des propos et des éclairages les uns après les autres portés sur les trois principaux protagonistes (Manfredi donc, Vittorio Gassman et Stefano Satta Flores) qui prennent successivement la parole pour conter l’évolution de l’histoire. Ainsi l’irruption dans le film, à de trop nombreuses reprises, de la vie réelle, de De Sica, de Fellini, de Mastroianni : on a bien compris le pieux hommage, mais il est légèrement trop appuyé…
Cela dit, qui est assez véniel, c’est éblouissant d’esprit, avec des mots d’une vacherie délicieuse (Qui est le plus seul au monde ? C’est le Riche ! Il est seul, vu qu’il y en a moins ; les pauvres sont si nombreux qu’ils se soutiennent… ou bien l’impeccable maxime Qui triomphe de sa conscience gagne le combat de l’existence !). Le promoteur véreux et richissime (litote ?) qui profère des réjouissantes horreurs pareilles, l’énorme Romolo Catenacci, affublé de son idiot d’Amadéo (ce sont les Aldo Fabrizi père et fils ; est-ce qu’ils ne font pas songer irrésistiblement au splendide duo formé par le délicat Président du club de Montpellier, Louis Nicollin et son fils Laurent, dont la grâce et le bon goût font honneur au football français ?) ; c’est toute la puissance, le déferlement de puissance du fric, comme dans Une vie difficile (Alberto Sordi : Je suis payé 5000 lires et je ne retirerai pas l’article pour 50.000 lires ! Et l’industriel : Mais pour 5 millions ? …) ; c’est le culot de baptiser un ensemble d’immeubles construit en s’asseyant sur toutes les règles d’urbanisme et de sécurité, Porcareccia (qui doit être quelque chose comme Porcherie, mais d’un niveau encore inférieur)…
L’équilibre entre les trois principaux personnages est subtil et d’une grande intelligence : brûlante ardeur révolutionnaire, ferveur, honnêteté, ridicule de Nicola (Stefano Satta Flores), morale flasque, à géométrie variable, avec à peine un brin de scrupules de Gianni, qui est si irrésistible avec toutes les femmes (Vittorio Gassman) et gentillesse un peu désespérante d’Antonio (Nino Manfredi), aux pauvres airs de chien battu et espérant pourtant… Entre eux, le fil conducteur de Luciana (Stefania Sandrelli), dont le destin est peut-être de patienter la nuit, sur une place romaine, pour inscrire les enfants à l’école, en croyant que les lendemains vont chanter, aux sons de la guitare, autour du feu de camp…