Terrain vague

Où sont les blousons noirs d’antan ?

Il faudra que je revoie ce film – assez médiocre – d’un Carné un peu surévalué dans le paysage cinématographique français qui m’avait paru déjà un peu tarte il y a quatre ou cinq ans en DVD dans l’assez mauvaise édition d’une collection à trois sous. Ce qui se passe en 1960, c’est l’émergence de ce qu’on a appelé alors les Blousons, qui étaient noirs, lorsqu’ils habillaient les fils de prolos trimant dur (mais sur le point de s’en sortir) ou dorés, lorsqu’ils vêtaient les enfants gâtés de la prospérité.

Il me semble me souvenir que les calembredaines faites sur ce Terrain vague n’étaient pas bien méchantes, même si elles indignaient nos parents et effrayaient les vieilles dames. Avec le Gang des Barbares – qui a assassiné Ilan Halimi – où les émeutes de l’automne 2005, on a nettement fait mieux depuis. Mais les Blousons noirs étaient à peine plus violents finalement que les pauvres gosses de Chiens perdus sans collier et très semblables à leurs cousins d’Outre-Atlantique, ceux de West side story : on pouvait, alors, faire de très grosses conneries, aller jusqu’au meurtre, par coup de sang ou malchance, mais on ne se vantait pas trop de sa révolte. Et, en général, un boulot trouvé, un mariage conclu, les gosses arrivant, on se rangeait…

Ce qui nous entraîne un peu loin du film. J’y reviendrai donc pour célébrer Danièle Gaubert, morte en 1987 à 44 ans d’un cancer alors qu’elle avait épousé Jean-Claude Killy et avait abandonné le cinéma depuis longtemps…

19 octobre 2007

terrain03 Comment retrouver le grand cinéaste de Quai des brumes et des Enfants du Paradis dans cette pauvre bluette, qui se veut grave et n’est souvent que ridicule ? C’est que Prévert n’était plus là, me dira-t-on ! Certes, mais Thérèse Raquin, L’air de Paris, et même Les Tricheurs, c’est sans commune mesure avec Terrain vague. Sur l’identique mode de la découverte de la délinquance juvénile, il y avait eu, cinq ans avant, l’humanisme niais et sympathique de Chiens perdus sans collier qui était appuyé sur un récit fort de Gilbert Cesbron. Mais là ! Que c’est bête, grandiloquent, mal fichu !

D’emblée on est saisi par l’emphatique et le grotesque : la bande de voyous se bâtit sur des rituels puérils, à base de serments sacrificiels et d’échange de sangs ; elle est dirigée par une fille, Dan (Danièle Gaubert) qui est à peu près aussi crédible dans le rôle que le serait Jerry Lewis pour incarner Emmanuel Kant ; les gamins sont censés n’avoir que quinze ou seize ans, mais leurs dégaines et leurs comportements laissent supposer des âges moins innocents ; l’histoire est d’une bêtise à pleurer et ce n’est pas l’intervention de Big Chief (Roland Lesaffre), vieux baroudeur anarchisant, revenu de tout et ouvert à toutes les folies de la jeunesse, qui arrange ce salmigondis.

terrain12Carné essaye de replacer dans le film la figure fascinante et sulfureuse d’Alain, dans Les tricheurs ; il l’appelle Marcel, auto-identification évidente, et le pare de tous les prestiges des anges noirs et de sa propre homosexualité, signal incongru jeté sans vraie raison au milieu du film, lorsque les rapports plus qu’ambigus entre Marcel, donc (Constantin Andrieu) et Hans (Alfonso Mathis) viennent s’insérer dans le récit ; mais il a complètement perdu la main et il ne sait pas trop comment filmer les adolescents sauvages qui oscillent entre le scoutisme et la sauvagerie.

Qu’est-ce qu’on peut sauver de ce film absolument raté ? En aucun cas les acteurs, tous plus mauvais les uns que les autres et dont aucun n’a fait même le début d’un semblant de carrière. Un peu le regard sur ces cités qui se créaient aux portes de Paris, faites de blocs et de tours, cités où demeuraient ici et là des maisonnettes lépreuses et isolées dans un paysage désespérant fait de blocs de béton abandonnés, d’herbes maigres, de boues omniprésentes.

Et malgré cela, dans ces immeubles de désolation, une certaine tenue : les cages d’escalier sont propres, les boîtes à lettres n’ont pas été arrachées, les flaques de pisse et les caches de drogue ne se disputent pas la place majeure ; l’horrible dégradation de l’habitat est déjà là : en montant dans les appartements par les escaliers – car les ascenseurs sont toujours en panne – on entend les bruits de disputes conjugales, la radio qui nasille, les cris des bébés, la vie des autres qui perce par les cloisons trop minces. Tout ça va se dégrader année après année et arriver à la situation d’aujourd’hui, les bandes ethniques, les agressions systématiques sur tout ce qui représente l’Autorité, les trafics de toute sorte, l’économie souterraine, les tournantes dans les caves, la montée de l’intégrisme musulman, les charmantes perspectives de territoires entiers devenus étrangers à la communauté nationale…

Ce serait faire beaucoup d’honneur que de considérer Terrain vague comme une ethnographie du monde de la banlieue triste de 1960 ; mais, pour y trouver la moindre trace d’intérêt, c’est pourtant bien sous ce regard qu’on doit y mettre le nez. Si on n’a rien d’autre à faire, évidemment.

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